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Article diffusé avec l’autorisation de son auteur : Jean-Maxence Granier – Think-Out

S’il existe bien un consensus sur la crise actuelle et sa gravité, sur l’ensemble des continents et quelles que soient les idéologies, puisque les inquiétudes des libéraux de Davos font écho à celles des altermondialistes de Belém, il est intéressant d’opérer des distinctions au sein même des interprétations du phénomène et de proposer une approche sémiotique de celles-ci à travers les polarités variées qui organisent le champ des différentes lectures à laquelle cette crise donne lieu.

1. La notion de crise

Le concept de « crise », au sens médical, psychologique, économique, politique, culturel, du terme, correspond à l’idée d’une rupture à partir d’un état antérieur réputé stable, cette rupture étant souvent connotée négativement et constituant une tension, un risque. La crise vient interrompre, plus ou moins brutalement, un état perçu comme normal, neutre ou orienté positivement.

La notion de crise s’applique à des univers divers, individuels (physique, psychique) ou collectifs (économique, politique, culturel) mais ce qui nous intéresse ici, c’est de qualifier les différentes polarités qui caractérisent la sortie de crise, c’est-à-dire l’état dans lequel le système, au sens très large, se retrouve après la période de crise elle-même. Nous définissons donc la crise non par sa nature, sa durée ou son intensité, mais par l’état sur lequel elle débouche. Nous en distinguons 4 (voir tableau 1) :

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État A. La crise ramène le système à son état antérieur. Quelle qu’ait été son intensité, elle se clôt par un retour à la normale, par une forme d’homéostasie. Dans cette logique, il faut faire cesser la crise au plus vite puisqu’elle constitue un accident qui finira par déboucher sur un retour à la normale.

État B. La crise se clôt vers un retour au système initial, mais celui-ci ne reste pas inchangé, car pour faire face à elle, il a dû s’adapter, se modifier en regard d’un nouveau contexte. Cette adaptation procède largement d’une autorégulation, d’une possibilité pour le système en question d’intégrer de nouvelles données issues de la situation nouvellement créée, pour justement y faire face. L’adaptation peut être plus ou moins profonde, ponctuelle ou durable, mais elle demeure réversible et fait du système l’acteur de sa transformation.

État C. La crise contraint le système initial à se transformer radicalement au risque sinon de disparaître. Cette réorganisation excède la logique d’adaptation, car elle n’émane plus seulement de l’intérieur du système, de ses capacités intrinsèques d’accommodation, mais d’une nouvelle configuration qui produit une mutation en profondeur, qui n’est plus réversible et en quelque sorte subie par le système en question.

État D. Le système existant initialement ne survit pas à la crise qui accouche d’un modèle radicalement nouveau ou du chaos. La rupture est paradigmatique et s’inscrit dans une solution de continuité radicale par rapport à l’état initial.

Les états A et D se caractérisent par un régime d’immutabilité/rigidité au sens où le système soit se perpétue à l’identique, soit disparait.

Les états B et C se caractérisent par leur mutabilité/souplesse car le système soit s’accommode soit mute en profondeur suite à la crise.

Les états A et B relèvent d’une logique de continuité dans la mesure où, soit le désordre introduit par la crise correspond à une parenthèse plus moins longue, mais circonscrite dans le temps, soit il donne lieu à une stratégie d’adaptation qui permet au système de persévérer dans son être.

Les états C et D relèvent d’une logique de discontinuité dans la mesure où la crise débouche soit sur une transformation radicale qui change la nature même du système initialement entré en crise, soit sur la rupture de fait que constitue la disparation du système initial.

Pour les sémioticiens (les autres lecteurs peuvent faire l’économie de ce paragraphe plus technique), on notera que l’on peut aussi représenter ces polarités sous la figure d’un carré sémiotique qui permet de déployer le couple initial « perpétuation du système » et « disparition du système » (voir tableau 2) en l’articulant à deux sub-contraires qui seraient « non-disparition du système » et « non-perpétuation du système ». La continuité correspond à la deixis positive (A+B) et la discontinuité à la deixis négative (C+D). Le méta-terme correspondant à A et D et celui de l’immutabilité qui se solde soit par la continuité soit par la disparition, le méta-terme correspondant à B et C est celui de la mutabilité sous forme d’adaptation ou de refondation.

Ce modèle décrivant les différents états de sortie de crise possibles, permet de mieux comprendre les postures prises aujourd’hui face à la crise économique que nous connaissons.

2. La crise économique de 2008

Notre but n’est pas ici de décrire ou d’expliquer une nouvelle fois la crise actuelle mais de voir comment elle est interprétée dans le champ socio-économique et politique. Si, en effet, il y a bien consensus sur sa gravité, on constate qu’il existe différentes manières bien différentes de lui donner sens et ce sont ces manières que l’on voudrait disposer selon les polarités définies plus haut de manière générique. On voudrait pour chaque pôle possible voir quelles sont les causes principalement mises en avant pour expliquer cette crise et quelles sont les solutions majeures proposées.

2.1. Les logiques de continuité

2.1.1. La posture A

La posture A est celle d’un retour à l’état antérieur. Elle est aujourd’hui intellectuellement assez difficile à tenir même si elle est sans doute dans le cœur de beaucoup qui voudraient se réveiller du cauchemar. Si on trouve peu d’optimistes invétérés pour remettre en cause le caractère systématique et mondial de la crise, les questions sur la date de sortie de celle-ci, portent bien en elles le désir que les choses reviennent à ce qu’elles furent et si possible au plus tôt. Le « quand » est ici le symptôme d’un évitement partiel du « pourquoi ». On sait d’ailleurs bien que pouvoir répondre à cette question serait déjà une manière de solution, puisque la crise est étroitement liée au champ d’incertitude qu’elle déploie devant nous. Les tenants de cette posture auront naturellement tendance à revenir aux causes les plus immédiates de la crise, à ses symptômes au fond, laissant de côté les plus structurelles et partant d’aller aux remèdes les plus immédiats aussi. Les solutions envisagées se centrent au premier chef sur l’éradication des actifs « toxiques » disséminés dans les comptes de la haute finance et des petits porteurs et sur la réinjection massive d’argent par l’État dans le système bancaire, sans trop de conditions, pour réinstaurer la confiance et la liquidité et relancer le crédit. Au fond, on en reste à l’idée qu’une fois le système bancaire sauvé, l’essentiel est fait. Pour ce faire, on baisse les taux (USA) pour augmenter les marges bancaires, l’État concourt à des augmentations de capital et à des reprises de provisions afin de permettre aux banques d’accroître leurs fonds propres et de relancer la machine en prêtant aux entreprises et aux ménages. Il s’agit au premier chef de lutter contre le « Credit Crunch » et le sinistre bancaire pour faire face au ralentissement économique qu’il enclenche. Cette approche peut opérer des distinctions au sein du capitalisme financier entre les bonnes pratiques et les dérives de quelques égarés (Kerviel) ou de quelques aigrefins (Madoff) mais globalement elle ne remet pas en cause le dispositif, demandant simplement à l’État d’intervenir pour débloquer le système, jusqu’à quelquefois se substituer aux banques en prêtant directement aux entreprises (cf. la France et le prêt au secteur automobile).

2.1.2. La posture B

Cette posture propose une lecture à la fois plus critique et plus ambitieuse de la crise en reconnaissant qu’il y a bien quelque chose de pourri au royaume de la finance. C’est d’abord la crise financière, spéculative qui sera pointée du doigt avec en particulier : les dérives des organismes de crédit immobilier hypothécaire qui ont volontairement prêté à des gens insolvables pour garantir des taux d’intérêt maximaux, l’inconscience des traders surpayés et court-termistes, l’impéritie des agences de notation aux relations ambiguës avec ceux-là mêmes qu’elles doivent contrôler, des règles comptables (évaluation des actifs financiers au prix du marché) et prudentielles comme des critères de solvabilité qui ont évolué de manière trop lâche en ouvrant la porte à tous les risques ou encore la distinction qui s’est effacée entre banque de dépôt et banques d’investissement (remise en cause du Glass-Steagall Act de 1933). Quant aux solutions, le discours dominant est celui de la régulation de l’intérieur, de l’autorégulation en demandant aux acteurs eux-mêmes de revenir à la raison, de bien vouloir prêter à des taux qui ne soient pas usuraires ou d’éviter de distribuer trop ouvertement des millions de dollars de bonus à des dirigeants qui ont mené leurs entreprises au bord de la faillite. Cette posture s’appuiera volontiers sur la distinction entre un capitalisme industriel et un capitalisme financier, coupable de quelques excès, entre au fond un bon et un mauvais capitalisme qui se serait laissé emporter par les effets de levier, la titrisation, les produits dérivés, les gros bonus, le court terme et les ROI à 15 %, quant on ne distingue pas entre une bonne spéculation, utile aux opérations de couverture, et une mauvaise spéculation, ramenée à une logique de pari sur les monnaies ou les matières premières et de surenchère sur l’avenir ! Cette posture a été occupée de l’intérieur du système et bien avant le démarrage effectif de la crise par un certain nombre de Cassandres, ce qui ne laisse pas d’inquiéter sur son caractère peu audible en tout cas d’un point de vue collectif (cf. Patrick Artus, Le Capitalisme est en train de s’autodétruire, avec M.-P. Virard, La Découverte, 2005). C’est encore la posture d’un économiste comme Michel Aglietta (La crise : pourquoi en est-on arrivé là ? Comment en sortir ? Michalon, 2008) : « Les responsables politiques doivent prendre conscience qu’il s’agit d’une crise globale de la finance et qu’il faut des changements dans la réglementation. Un retour de l’autorité de l’État sur les marchés est nécessaire pour réduire les risques. Il faut inventer une nouvelle organisation de la finance qui soit au service de l’économie et non pas au service d’elle-même, comme ces dernières années où les profits et les bonus ont explosé à des niveaux indécents. », L’Express, 15/09/2008 ou d’un Jacques Attali qui prône le passage à une gouvernance mondiale comme opérateur de cette nécessaire régulation (cf. La crise, et après ? Fayard, 2008).

2.2. Les logiques de discontinuité

2.2.1. La posture C

La posture C, qui appelle à une mutation profonde, s’inscrit à la fois dans l’économique et le politique en proposant justement une réarticulation de ces deux champs face à la crise. Elle se caractérise par une approche beaucoup plus globale de celle-ci, par exemple par une mise en perspective plus nette des enjeux écologiques, la dérive financière comme le risque écologique apparaissant comme les deux faces de la même monnaie ultra libérale. Elle porte sa critique sur une évolution plus ancienne et plus profonde, liée à la période des trente dernières années, et sur une remise en cause très vive de l’ultralibéralisme américain porté par les épigones de Milton Friedman. Pour cette posture, la crise que nous vivons est d’abord l’occasion de repenser à la fois les rapports économiques internationaux (rapports Nord/Sud, crises alimentaires, délocalisations sauvages), le rapport de la société industrielle à la nature et aux générations futures, la question de l’équilibre entre le capital (actionnaires, dirigeants qui sont d’abord des actionnaires) et le travail (appauvrissement des classes moyennes, augmentation des écarts entre les plus riches et les plus pauvres) et enfin le rapport entre pouvoir politique et pouvoir économique. La crise financière actuelle n’est plus perçue comme un fatum qui pèserait soudain sur le destin des hommes et des sociétés, mais bien comme le produit d’une certaine conception de l’économie et du politique. Elle pose ainsi la question du fonctionnement réellement démocratique de démocraties, de leur capacité à réguler un capitalisme mondialisé, qui subsume assez largement la puissance publique telle qu’elle s’exerce au niveau des nations. Elle interroge l’écart assez radical entre la logique démocratique visant idéalement au bien commun et les stratégies d’entreprises qui ne gèrent ni le long terme ni les externalités négatives et socialisent les pertes après avoir privatisé les bénéfices. Ce discours est soutenu par un Joseph Stiglizt (Un autre monde : contre le fanatisme du marché, Fayard, 2002) qui stigmatise les inégalités, face à la richesse comme face à l’information qui permet de l’acquérir ou les instances mondiales de régulation comme le FMI, qui, sous l’apparence du bien commun universel, défendent d’abord, dans les rapports Nord/Sud, les intérêts des économies jusqu’alors dominantes. C’est aussi la posture de Paul Krugman (L’Amérique que nous voulons, Flammarion, 2007), autre prix Nobel et critique virulent du double mandat de G. W. Bush : « C’est une crise de l’érosion. C’est une crise des certitudes dans le système. C’est une crise du crédit bancaire, de l’énergie à bas prix, de l’accès à la nourriture, du commerce mondial. Et, surtout, de la régulation ou de son absence. Et, contrairement à ce que l’on entend, il n’y a aucune gouvernance économique et financière dans le monde depuis vingt ans, c’est une fumisterie. Et cela peut avoir des conséquences dramatiques. (…) » Libération, 13/10/08 ou celle d’un Paul Jorion qui dans son ouvrage La crise : des subprimes au séisme financier planétaire (Fayard 2008), déroule une critique très vive de l’économie de marché comme des économistes qui la soutiennent théoriquement, en insistant sur la dimension mortifère de l’augmentation des écarts entre capital et travail, comme sur les risques associés à la spéculation : « Je suis surpris de voir que mes livres se vendent bien mais qu’il n’y a pas un seul homme politique qui me consulte ! C’est comme les économistes, ils sont à l’intérieur d’un système. Ce système n’a pas encore compris qu’il est en train d’affronter cette crise de civilisation à laquelle je faisais allusion. Alors, quelles sont les solutions ? Je propose notamment qu’on écrive une constitution pour l’économie, éliminant un certain nombre de principes entièrement destructeurs. Les paris sur l’évolution des prix – des matières premières, par exemple – sont aujourd’hui au cœur du processus économique ; on a ouvert grand les portes du marché des matières premières aux spéculateurs. Ils en sont devenus les acteurs dominants. C’est de la folie. D’autre part, il faudrait repenser complètement le problème des prêts à la consommation. C’est une bonne chose que les banques prêtent de l’argent entre investisseurs et dirigeants d’entreprises, parce que ça produit de la richesse dans le monde ; on fait travailler les gens et on produit des biens et des services. Mais prêter de l’argent à des consommateurs pour qu’ils achètent des biens, alors que leurs salaires ne leur permettent pas, c’est une aberration » Telerama 31/10/08.

2.2.2. La posture D

Cette ultime posture voit dans la crise se dessiner la fin même du capitalisme et l’appelle souvent de ses vœux. La crise se teinte d’une dimension presque positive, malgré les difficultés sociales qu’elle engendre, comme promesse d’un changement de paradigme radicale. La dimension cyclique des analyses A et B qui intégraient au fond la crise au rythme intrinsèque du capitalisme (euphorie/inquiétude, relance/rigueur, inflation/déflation, etc.) est remise en cause au profit d’un véritable épuisement du capitalisme et de l’économie de marché qui verraient là approcher leur fin. Cette posture insiste sur l’instabilité maximale du système, lit l’enchaînement des différentes crises récentes et plus anciennes non sous le signe de la régénération, mais sous celui de l’épuisement. L’économie de marché est fortement remise en cause dans ses fondements, confrontée qu’elle serait à une politique d’accumulation sans fin. Les solutions évoquées sont bien sûr d’abord politiques (critique des limites de la démocratie face au marché) mais aussi économiques (décroissance). Elles appellent à l’élaboration d’un système radicalement nouveau.

Sous des formes quelquefois très différentes, les philosophes Jean-Claude Michéa (L’empire du moindre mal : essai sur la civilisation libérale, 2007, Climats), qui démontre comment libéralisme économique et libéralisme politique sont littéralement coproduits l’un par l’autre et en appelle à une sorte d’égalitarisme populaire d’inspiration orvellienne, et Alain Badiou, qui critique la démocratie comme inopérante et appelle au retour d’une forme de communisme authentique : On a souvent parlé ces dernières semaines de « l’économie réelle » (la production des biens). On lui a opposé l’économie irréelle (la spéculation) d’où venait tout le mal, vu que ses agents étaient devenus « irresponsables », « irrationnels », et « prédateurs ». Cette distinction est évidemment absurde. Le capitalisme financier est depuis cinq siècles une pièce majeure du capitalisme en général. Quant aux propriétaires et animateurs de ce système, ils ne sont, par définition, « responsables » que des profits, leur « rationalité » est mesurable aux gains, et prédateurs, non seulement ils le sont, mais ont le devoir de l’être. Il n’y a donc rien de plus « réel » dans la soute de la production capitaliste que dans son étage marchand ou son compartiment spéculatif. Le retour au réel ne saurait être le mouvement qui conduit de la mauvaise spéculation « irrationnelle » à la saine production. Il est celui du retour à la vie, immédiate et réfléchie, de tous ceux qui habitent ce monde. C’est de là qu’on peut observer sans faiblir le capitalisme, y compris le film catastrophe qu’il nous impose ces temps-ci. Le réel n’est pas ce film, mais la salle. (Le Monde, 17/10/08) ou encore le sociologue américain altermondialiste Immanuel Wallerstein, qui pose une analyse du capitalisme comme lieu de la marchandisation de toute chose et comme dissymétrie fondamentale entre un centre où s’accumule le capital et des périphéries toujours spoliées : « Mais je pense que les possibilités d’accumulation réelle du système ont atteint leurs limites. Le capitalisme, depuis sa naissance dans la seconde moitié du XVIe siècle, se nourrit du différentiel de richesse entre un centre, où convergent les profits, et des périphéries (pas forcément géographiques) de plus en plus appauvries. A cet égard, le rattrapage économique de l’Asie de l’Est, de l’Inde, de l’Amérique latine, constitue un défi insurmontable pour « l’économie-monde » créée par l’Occident, qui ne parvient plus à contrôler les coûts de l’accumulation. Les trois courbes mondiales des prix de la main-d’œuvre, des matières premières et des impôts sont partout en forte hausse depuis des décennies. La courte période néolibérale qui est en train de s’achever n’a inversé que provisoirement la tendance : à la fin des années 1990, ces coûts étaient certes moins élevés qu’en 1970, mais ils étaient bien plus importants qu’en 1945. En fait, la dernière période d’accumulation réelle – les « trente glorieuses » – n’a été possible que parce que les États keynésiens ont mis leurs forces au service du capital. Mais, là encore, la limite a été atteinte ! » (Le Monde, 11/10/08), sont les porteurs de cette approche.

Cette posture, plus radicalement politique, interroge le système de l’extérieur, et considère la crise non comme un accident, mais comme le révélateur de ses limites intrinsèques.

Conclusion

La posture A et la posture B s’appuient l’une comme l’autre sur une approche cyclique de la crise, la première la ramenant à une crise de confiance à résoudre en réduisant le stress bancaire, la seconde en réformant les excès d’un capitalisme financier emporté dans son élan. Ce qui rapproche ces deux attitudes, c’est au fond de considérer la crise comme une cause, la posture A ayant tendance à naturaliser au maximum cette cause, jusqu’à en faire l’équivalent d’une catastrophe naturelle contre laquelle tout le monde doit s’unir et lutter, tandis que la posture B construit la crise comme un excès que le retour à la raison pourrait contenir. Ces deux postures maintiennent le paradigme initial pratiquement tel quel ou au prix d’une réforme interne plus conséquente. Elles répugnent à établir des liens entre la crise dite des « subprimes » et ses effets sur l’économie, et des questions plus larges, sociales, écologiques, alimentaires, ou géostratégiques. Enfin, ces postures sont très largement marquées par une lecture progressiste du capitalisme, faisant de chacune de ses crises le signe même de sa capacité à perdurer ou à s’adapter

Les postures C et D, sous la figure de la refondation pour la C, sous la figure de l’épuisement pour la D, se situent au contraire dans une logique de discontinuité beaucoup plus marquée. Ces deux postures se caractérisent par le fait qu’elles considèrent la crise comme un effet, voire un symptôme, d’un dysfonctionnement à la fois plus ancien et plus fondamental, celui même de l’économie de marché, ou en tout cas de sa dérive libérale, stigmatisée sous les traits de la « pensée unique ». Elles opèrent un renversement causal en faisant de la crise le résultat et non la cause d’une dérive entamée depuis longtemps.

On voit ainsi apparaître certaines dominantes dans l’interprétation de la crise (cf. tableau 3), la logique de la discontinuité impliquant de manière forte la question politique, une vision plus globale de la crise, non pas cyclique mais vectorielle (accumulation de crises jusqu’à une crise finale) et se situant plutôt à gauche ou à l’ultragauche, la logique de la continuité, plutôt à droite, s’inscrivant elle dans le seul champ de l’économique, dans une approche plus étroitement circonscrite dans le temps d’une crise qui commencerait en 2008 et qui s’inscrirait dans une cyclicité quasi naturelle au capitalisme.

Cette réflexion sémiotique sur l’organisation du champ des discours sur la crise, caricature évidemment en quatre grandes postures le continuum qui, en réalité, préside à la variété des regards possibles. Mais ce schématisme permet de voir comment s’infléchissent dans un sens ou un autre des lectures différenciées d’une crise qui, derrière l’unanimisme de façade, suscite des interprétations bien distinctes. L’intérêt du carré sémiotique est de permettre, comme nous l’avons fait, de positionner différents types de discours en regard les uns des autres, mais de saisir aussi comment certains acteurs infléchissent leurs discours au fur et à mesure du déroulement de la crise et des effets qu’elle produit, les principales opérations de passages se faisant clairement au niveau du registre de la mutabilité, sur l’axe continuité / discontinuité, entre les pôles B et C.

Article de Jean-Maxence Granier – Think-Out

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Jean-François Faure
Jean-François Faure. Président d’AuCOFFRE.com. Voir la biographie.

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