Guy Lagache : En ce moment, qu’on soit directement touchés par la crise ou inquiets pour les temps à venir, on cherche tous des solutions pour doper son pouvoir d’achat. Y en a-t-il vraiment ? Quels sont les moyens pour dépenser moins et s’agissant des prix, sont-ils en train de devenir plus abordables qu’avant ? Alexandre Leo, bonsoir, vous êtes économiste, vous observez les grandes tendances en matière de consommation. Justement, dans le contexte actuel, est-ce que les Français continuent à consommer ou ont plutôt tendance à se serrer la ceinture ?
Alexandre Leo : La bonne nouvelle est que les Français continuent de consommer. En ce début d’année 2009, la consommation est supérieure à ce qu’elle était l’année dernière. Ça peut paraître fou.
Guy Lagache : Alors qu’il y a crise ?
Alexandre Leo : Alors qu’il y a la crise, alors que tout le monde dit qu’il faut arrêter de consommer, qu’il faut mettre de l’argent de côté, qu’il n’y a plus de crédits, les statistiques et les chiffres bruts montrent que la consommation ne s’est pas effondrée. Au contraire, elle continue de progresser par rapport à l’année dernière.
Guy Lagache : Comment l’expliquez-vous ? Parce que selon une étude récente 68 % des Français pensent que leur pouvoir d’achat a baissé.
Alexandre Leo : 68 % des Français pensent que leur pouvoir d’achat a baissé, je peux les comprendre, mais les statistiques montrent que le pouvoir d’achat de l’ensemble des Français a continué de progresser en fin d’année dernière et le pouvoir d’achat va sans doute continuer de progresser au premier trimestre. Il faut comprendre qu’à l’été 2008, on a eu un pic d’inflation qui était lié à la hausse des cours des matières premières.
Guy Lagache : Prix du pétrole ?
Alexandre Leo : Prix du pétrole, le prix à la pompe, on payait 1,10 € pour le litre d’essence, c’est passé à plus de 1,50 €.
Guy Lagache : 150 $ le prix du baril.
Alexandre Leo : Exactement. Ça a été divisé par trois depuis juillet dernier, c’est exceptionnel et ça a donné du pouvoir d’achat aux ménages sans pour autant qu’on le ressente parce qu’effectivement, sur la fiche de paie, on n’a pas vu d’évolution fulgurante. Il faut le comprendre, le pouvoir d’achat peut augmenter avec une évolution zéro des salaires. Il suffit que les prix diminuent, c’est ce qui s’est passé et ce qui explique pourquoi il y a une sorte de divorce entre la réalité du pouvoir d’achat et les sentiments qu’en ont les Français.
Guy Lagache : C’est-à-dire que, finalement, le pouvoir d’achat continue d’augmenter parce que les prix ont baissé. Est-ce qu’il y a d’autres raisons, par exemple des raisons liées à l’emploi ? On parle beaucoup de licenciements et de chômage, mais est-ce que par exemple en France, comparé à d’autres pays, on n’est pas finalement un pays où les emplois sont davantage sécurisés ?
Alexandre Leo : Vous avez raison de parler de la hausse du chômage. Effectivement, le chômage est en train d’augmenter très vite, mais en même temps, en France, il y a une sorte de coussin de sécurité, d’airbag de l’emploi qui est le poids de l’État, l’État qui emploie beaucoup de fonctionnaires ou d’assimilés fonctionnaires, autant de personnes qui ne verront pas leur pouvoir d’achat baisser en 2009.
Guy Lagache : Et ça, ce n’est pas anecdotique, ce nombre d’emplois liés directement ou indirectement à l’État ?
Alexandre Leo : Directement ou indirectement, vous avez près de 7 millions de personnes dont les revenus dépendent de l’État, c’est colossal. Après, vous avez une autre catégorie, c’est les retraités. En France, on a un système de retraite par répartition, c’est-à-dire que c’est les actifs qui payent les personnes qui sont à la retraite. Et ces personnes-là ont également leurs revenus sécurisés pendant la crise. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire tout simplement qu’il y a tout un volet de la population française qui est abrité de la crise.
Guy Lagache : Donc ces gens-là n’ont pas peur de consommer ?
Alexandre Leo : Ces gens-là n’ont pas peur de consommer et ça explique qu’il n’y ait pas d’effondrement de la consommation en France.
Guy Lagache : Donc la consommation augmente et en même temps, il y a quand même un paradoxe, c’est qu’on voit qu’il y a des secteurs sinistrés : textile, je ne parle même pas de l’automobile. Comment vous expliquez ça ? La consommation d’un côté augmente, mais de l’autre il y a les produits qu’on ne consomme pas.
Alexandre Leo : La consommation augmente, mais les Français vous diront également, on fait des arbitrages, c’est le concept aujourd’hui de ce qu’on appelle du « radin malin ». Les gens veulent continuer à consommer, mais ne veulent pas trop dépenser non plus, ils ne veulent pas faire n’importe quoi, et on est toujours à la chasse aux bonnes affaires. Donc ça peut être des achats groupés, des achats en ligne et on a vu d’ailleurs que les soldes de janvier avaient très bien démarré. D’ailleurs, les achats de textile avaient explosé en janvier.
Guy Lagache : Simplement, ce sont des discounts.
Alexandre Leo : Voilà. Pour ce qui est de l’automobile, on voit bien que la prime à la casse et le bonus écologique permettent tout de même de doper les ventes, mais les ventes de certains produits spécifiques. Des petites voitures écologiques, citadines, qui consomment peu, qui bénéficient du bonus écologique et de la prime à la casse continuent à se vendre. Là encore, c’est un changement de la nature du marché auquel on est en train d’assister.
Guy Lagache : Dernier point, pour le profane, il y a quelque chose d’incompréhensible : si la consommation marche bien, comment se fait-il qu’il y a la crise ?
Alexandre Leo : Si la consommation marche bien, ce n’est pas tout. Vous savez, ce qui fait la croissance, c’est également les résultats des entreprises. Mais les entreprises n’investissent plus trop et surtout pâtissent d’une demande qui leur est adressée depuis l’international, qui est extrêmement faible. Donc la crise, elle est là, elle est réelle. Je suis économiste, donc je suis forcément un peu cynique, le chômage va augmenter, ça va pénaliser le pouvoir d’achat de certains Français, mais il y a d’autres Français dont les revenus seront assurés, qui verront leur pouvoir d’achat augmenter tout simplement parce que les prix auront baissé par rapport à l’année dernière.
Transcription par ABWtrad.com de l’émission Capital/M6
La baisse des taux sur les livrets a du jouer un grand rôle en France dans cette consommation.
Qui veut épargner a 1,75% ?