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Lorsque l’on raconte aux jeunes qu’en 1986 nous avions été assez naïfs pour croire les autorités qui nous avaient affirmé que le nuage radioactif s’était arrêté à la frontière française, l’on s’attire immanquablement et à juste titre quelques rires et sourires goguenards.

Lorsque j’affirme à ces jeunes étudiants qu’ils seront peut-être à leur tour dans 20 ans la risée de leur propres enfants, la surprise laisse vite place à l’incrédulité et à une certaine forme d’inquiétude.

Reprenons les faits. Les faits ont cette fâcheuse tendance à être difficilement transformables quoique…

Le 14 mars 2011 un tremblement de terre terrible ravage le Japon, suivi d’un Tsunami dévastateur. Parmi les zones touchées, celle de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi composée de 6 réacteurs désormais en difficultés. Tchernobyl n’a connu de problème que sur 1 réacteur. On peut donc résumer la situation par Russie 1, Japon 6.

Depuis le 14 mars l’information fournie par les autorités japonaises est très limitée, parfaitement contrôlée et n’a rien à envier aux méthodes de communication de l’ex URSS.

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Souvenons nous de l’accident d’une centrale nucléaire suédoise en 2006. Les opérateurs ont failli perdre le réacteur nucléaire en moins de 30 minutes à cause d’une panne des circuits de refroidissement liée à une coupure électrique (ce qui est le comble pour une centrale nucléaire censée produire la dite électricité), elle même liée à des travaux de maintenance. Les systèmes de sécurité (pour faire simple les groupes électrogènes de secours) ne ce sont simplement pas mis en marche. Catastrophe assurée en moins de 30 minutes; temps nécessaire au début de fusion du cœur du réacteur d’après les articles et les experts, unanimes à l’époque sur la gravité de cette incident. Depuis 15 jours, les cœurs des réacteurs nucléaires au japon ne sont plus vraiment refroidis…. mais cela ne pose bien sûr aucun problème.

De la fumée s’échappe quasi quotidiennement de l’un ou l’autre des réacteurs endommagés, mais cela ne pose bien sur pas de problème.

De l’eau potable à Tokyo est de temps en temps impropre à la consommation, mais lorsque le lendemain plus aucun magasin ne peut fournir d’eau minérale en bouteille et que l’ensemble de la population ne peut plus être approvisionnée… l’eau redevient potable. Triste alternative que de laisser boire de l’eau irradiée, ou de laisser sa population mourir de soif.
(https://www.lexpress.fr/actualite/monde/l-eau-de-tokyo-est-radioactive_975240.html)

Bref, cet accident qui met en jeux la « survie » de réacteurs nucléaires risque potentiellement d’être plus grave que l’accident de Tchernobyl. Comme l’a indiqué le premier ministre japonais: « la situation à Fukushima est imprévisible ».

Mais reprenons notre petite rétrospective. Chacun pourra vérifier soit en faisant appel à sa mémoire (vous verrez cela fonctionne bien) soit en recherchant sur internet tous les podcasts de cette période encore largement en ligne).

Le mardi 15 mars le commissaire européen à l’énergie déclarera que c’est « l’apocalypse ».
(https://www.lepoint.fr/monde/bruxelles-parle-d-apocalypse-a-propos-de-l-accident-nucleaire-au-japon-15-03-2011-1306834_24.php)
Les marchés financiers partout à travers la planète chutent de manière vertigineuse. Le méga krach approche à grand pas, et risquerait de faire passer la crise des subprimes de 2008 pour de la roupie de sansonnet.

Le lendemain jeudi 17, grand changement dans la maitrise et la diffusion de l’information. Un hélicoptère décolle avec quelques seaux d’eau qu’il va déverser au dessus des réacteurs fumant « au petit bonheur la chance » (re visionnez les vidéos vous vous rendrez compte de la grande précision de l’affaire).
Grâce à ces belles images, la Presse unanime titre dès le jeudi « Lueurs d’espoir à Fukushima ». Les marchés repartent l’essentiel est sauf (notre argent).
Les japonais peuvent continuer à se faire irradier tranquillement.
Vous pouvez consulter avec le lien suivant une dizaine de photos aériennes de très bonne définition des différents bâtiment de la centrale de Fukushima. Elles ne sont pas très rassurantes.
(https://cryptome.org/eyeball/daiichi-npp/daiichi-photos.zip)

Le vendredi 18, quelques camions citerne des pompiers de Tokyo arrivent pour arroser à leur tour les ruines fumantes qui, je vous le rappelle, n’ont officiellement pas explosés. En fait si, c’étaient des énormes explosions vues par la planète entière mais sans gravité. Evidemment. C’était juste des dégazages contrôlés (hydrogène) qui ont sauté, mais rien d’alarmant les réacteurs vont très bien Madame la Marquise. Grâce à cela, la Presse unanime va pouvoir titrer: « Fukushima des progrès encourageants »!
Je vous conseille de regarder le reportage « La bataille de Tchernobyl » qui éclaire d’un jour exhaustif les risques et défis que l’ex empire soviétique a du affronter pour limiter l’ampleur de cette catastrophe nucléaire. Il est important de noter que des centaines d’hélicoptères, des milliers de véhicules blindés et plus de 500 000 hommes ont été utilisés pour construire le sarcophage autour du réacteur endommagé. A Fukushima le problème est multiplié par 6. Comment va t-on faire?
(https://www.dailymotion.com/video/x6xbsg_la-bataille-de-tchernobyl-15_news)

Il y a donc une certitude au moment où j’écris ces lignes. Nous sommes face à un mensonge d’Etats majeur, auquel nous assistons en direct et impuissant. Sauf que, sauf que internet existe aujourd’hui et que nous avons plus de possibilité de nous informer. Nous vivons un vrai Tchernobyl 2.0 !!

De multiples conséquences économiques sous estimées

N’y a t-il plus d’espoir? Sans doute pas, et étant un optimiste de nature je veux croire que des solutions pourront être trouvées. Néanmoins la pollution radioactive officielle s’étale désormais sur plus de 100 km. La capitale Tokyo est située à moins de 250 km de la centrale de Fukushima. Tout le nord du japon a été fortement endommagé sans oublier toutes les zones qui ont été littéralement rasées de la carte par le double effet du tremblement de terre et du tsunami.
Je vous conseille la lecture instructive du dernier communiqué de la CRIIRAD
(https://www.criirad.org/actualites/dossier2011/japon/30-03_alerte_sanitaire_japon.pdf)

Le gouvernement français vient d’activer une cellule spéciale afin d’anticiper au mieux les pénuries de composants qui ne manqueront pas de toucher la France dès le mois d’avril entrainant sans doute certains arrêts de production et vraisemblablement des mesures de chômage technique dans certaines industries.
(https://www.20minutes.fr/ledirect/696697/economie-japon-eric-besson-veut-aider-industriels-face-penuries-composants)

Au delà des pertes en vie humaine, le coût de cette double catastrophe (naturelle et nucléaire) est très loin d’être établi et certainement à ce jour fortement minoré. Le dernier bilan évoque le nombre de plus de 28 000 morts et disparus. Il y a plus de 350 000 sans abris dans le nord-est du Japon, 70 000 personnes ont été évacuées dans un rayon de 20 km autour de la centrale. Entre 20 et 30 km 136 000 autres personnes attendent d’être évacuées à leur tour puisqu’elles sont depuis plus de 15 jours confinées dans leur domicile.

Le Japon qui est la deuxième économie mondiale (ou la troisième en fonction de la façon dont on classe la Chine) est un maillon essentiel de la mondialisation. Le Japon est fortement touché et fait face à plusieurs défis majeurs:

– Une catastrophe nucléaire absolument pas maitrisée et qui peut éventuellement déboucher sur une drame en cas d’aggravation de la situation sur l’un des 6 réacteurs touchés.

– Un endettement de plus de 200% du PIB (pour comparaison l’endettement de la France est d’environ 80% et celui de la Grèce en « faillite » de 120% du PIB). Lors du tremblement de terre de Kobe l’endettement de l’état japonais n’était que de 85% du PIB environ (c’était en 1995). L’effort de reconstruction risque d’entrainer une augmentation insupportable de la dette de ce pays le précipitant vers des difficultés économiques sans précédent. Dès le 15 mai 2010 la sonnette d’alarme est tirée aussi bien par le FMI que par les agences de notation sur l’insoutenabilité de la dette japonaise à court terme voir l’article ci dessous du figaro à ce sujet.
(https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2010/05/19/04016-20100519ARTFIG00456-le-fmi-demande-au-japon-de-reduire-sa-dette.php)

– Une industrie quasi à l’arrêt. Les japonais sont les inventeurs des méthodes de flux tendus et de juste à temps qui, si elles ont convaincu le monde entier, montrent leurs limites en cas de catastrophe. L’absence totale de stocks a pour conséquence l’arrêt de nombreuses activités de production ainsi que des pénuries massives dans les rayons des supermarchés toujours vides à l’heure actuelle. Plus d’eau, moins ou pas de nourriture, coupures importantes d’électricité ne permettant plus de gérer des stocks de produits frais ou surgelés.
Concernant les grandes multinationales l’exemple du constructeur aéronautique Boeing est frappant, les industriels nippons construisant 35% de certains modèles d’avions.
(https://www.lepoint.fr/monde/le-japon-face-a-la-penurie-18-03-2011-1308291_24.php)
(https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/20110314trib000607914/le-boeing-787-pourrait-patir-de-ses-fournisseurs-japonais.html)

– Une valeur de la monnaie qui explose à la hausse. Les achats massifs de yen des japonais et entreprises, qui liquident leurs actifs à l’étranger pour les rapatrier afin de pouvoir faire face à l’effort national de reconstruction, ont propulsé la valeur du Yen vers son plus haut historique. A ce phénomène « naturel » d’appréciation de la monnaie s’est ajouté une spéculation importante des marchés sur ces anticipations de rapatriements de fonds.
La conséquence est qu’un monnaie trop forte entraine une baisse significative des exportations, une augmentation brutale de la valeur d’une monnaie ne pouvant être rapidement compensée par une hausse de la productivité surtout dans un pays ravagé par une catastrophe naturelle de cette ampleur. Néanmoins sur le moyen terme et compte tenu d’une politique monétaire expansionniste le Yen devrait retrouver un cours plus acceptable. Voir ci-dessous l’analyse de Natixis à ce sujet.
(https://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=57350)

– Le japon est un pays avec une très forte densité de population. Beaucoup de monde mais peu d’espaces habitables. Les prix de l’immobilier y sont en moyenne parmi les plus élevés au monde. Les banques possèdent donc des encours de crédits immobiliers particulièrement importants. Dans la région de Fukushima ce sont plus de 70 000 personnes qui ont déjà été évacuées. En Ukraine à côté de Tchernobyl la ville de Pripiat est toujours une ville fantôme 25 ans après l’explosion du réacteur. Les banques n’y avaient pas de crédit. Il n’y avait que 45 000 habitants. Qu’adviendra t-il des créances des banques dans ce cas là? comment les pertes (car elles seront importantes) seront gérées? Peut-on se retrouver à nouveau avec une crise bancaire internationale au fur et à mesure que l’ampleur de la catastrophe nucléaire de Fukushima apparaitra? Imaginez l’ampleur de l’impact sur les créances immobilières en cas d’évacuation de Tokyo qui abrite 35 millions de personnes…. une situation tout bonnement inenvisageable financièrement. Le système économique ne pourrait pas ou difficilement s’en relever. C’est peut-être pour cela que la situation à Fukushima n’est plus aussi alarmante à partir du 17 mars 2011.

– le japon est un pays vieillissant, dont la population actuelle de 127 millions décroit depuis 2005 et devrait être divisée par deux d’ici à la fin du siècle pour atteindre 60 millions d’habitants.
Or comment rembourser des dettes sans croissance économique et démographique. Mécaniquement et mathématiquement moins le nombre d’habitants est important plus la dette totale par tête est importante.
(https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2011/02/25/la-population-japonaise-enregistre-un-fort-declin_1484985_3216.html)

– L’accident nucléaire de Fukushima ravive la peur du nucléaire. Aux Etats-Unis aucun réacteur n’a été construit depuis l’accident de « Three Mile Island » en 1979. Après Tchernobyl aune nouvelle centrale n’a vue le jour en URSS, il en sera de même au Japon après Fukushima. En Allemagne déjà 7 réacteurs ont été arrêtés car jugés plus dangereux.
Les seules énergies de substitutions rapides et crédibles sur le très court terme sont le Gaz et bien sur le Pétrole dont les cours pourraient être propulsés vers des sommets dans les prochaines semaines. Or les économistes s’accordent pour dire qu’un baril de pétrole dont le prix dépasse les 120 dollars entraine l’économie mondiale en récession. Au 4 avril le prix du baril de pétrole monte toujours et semble s’établir durablement au dessus des 110 dollars.

Vers une accélération des changements déjà perceptibles

Il est donc à craindre que l’ensemble des facteurs évoqués cumulés fassent courir un risque systémique global à l’économie mondiale qui pourrait avoir du mal à se remettre de l’après Fukushima et de la lente agonie que ce cataclysme nucléaire fait vivre au Japon. Nous assistons peut-être à la disparition prématurée d’une nation, au lent crépuscule d’un Empire.

Vous avez voulu sauver l’argent sur le court terme au mépris de la vie des hommes, vous perdrez les hommes et vous perdrez l’argent, car il n’est pas de richesses sans hommes.

Au fait, mêmes les Huîtres risquent de déserter nos tables de fêtes de fin d’année. Touchées et décimées par une mystérieuse maladie, nos producteurs avaient commandé des naissains d’huitres au Japon à Sendai. Les producteurs japonais sont portés disparus nos huitres aussi.

Il n’est pas encore tout à fait l’heure du bilan. Cela dit l’accident de Fukushima vient peut être de signer l’acte de décès de l’industrie nucléaire qui est une industrie dangereuse, et pour laquelle nous ne savons ni maitriser les démantèlements ni maitriser la gestion des déchets dont on ne prend pas en compte les coûts dans les prix d’exploitation de cette énergie bien plus couteuse que ce que l’on pense lorsque l’on intègre tous les coûts indirects. On ne parle même pas du prix à payer en cas de catastrophe tout bonnement insupportable aussi bien en termes financiers qu’en souffrances humaines. « L’hommo economicus  » va devoir réapprendre une certaine forme de sobriété.
Du Peak Oil à la raréfaction des matières premières, du défi agricole pour nourrir la planète au partage de l’eau (ressource en voie de disparition) le monde change.

Le cataclysme japonais va sans aucun doute hâter ces évolutions.

Par Charles SANNAT
[email protected]

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Jean-François Faure
Jean-François Faure. Président d’AuCOFFRE.com. Voir la biographie.

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