Qu’il s’agisse de dépenses publiques directe pour lutter contre l’exclusion ou de coûts induits indirectement par la vétusté, l’insuffisance ou l’inadaptation d’une partie de l’habitat en France, le mal-logement pèse sur les finances de l’État comme des collectivités à hauteur de 30 milliards d’euros par an au moins.
La construction de logements neufs n’est pas la panacée
Véritable serpent de mer de la politique de la ville, et de l’économie en général, le chiffre de 500 000 nouveaux logements par an ne cesse d’être à la fois un vœux pieux comme un objectif inatteignable. En effet, depuis vingt ans, le marché de l’habitat en France ne parvient pas à dépasser les 350 000 logements construits par an. Pour autant, alors que certains y voient la solution à tous les problèmes liés aux conditions de vie, la construction de logements neufs n’a qu’un faible impact sur le fléau grandissant du mal-logement en France.
En effet, la multiplicité des logements sur le marché pourra peut-être permettre le désengorgement des gros centres urbains et favoriser la mobilité de quelques familles un peu à l’étroit par manque de choix disponible, mais la très grande majorité des ménages mal-logés pour des raisons économiques et sociales ne verra pas sa situation s’améliorer pour autant. Car, hormis le cas très spécifique des logements sociaux (dont le volume reste de toute façon très insuffisant par rapport aux besoins), l’essentiel de la construction immobilière est constitué de logements destinés à la vente ou à la location hors critères sociaux. En clair, des logements qui restent généralement bien trop cher pour les foyers défavorisés, lesquels n’ont pas d’autre choix que de subir le mal-logement.
Le mal-logement, un phénomène complexe
Mais d’abord, qu’est-ce que le mal-logement ? D’après l’observatoire français des conjonctures économiques de Sciences-Po (OFCE), les chercheurs comme les acteurs du marché immobilier peinent depuis des décennies à en définir précisément les contours, car, dans les faits, les situations de mal-logement sont multiples et variées. Au mieux peut-on englober toutes les « anomalies » de conditions de vie des Français, allant des situations les plus extrêmes touchant les publics les plus fragiles (sans-abris notamment) jusqu’à celles, plus répandues, que sont la sur-occupation, les dépenses en logement trop élevées ou encore les difficultés de chauffage. Quoi qu’il en soit, en tenant compte des coûts directs et indirects liés au mal-logement, on arriverait à une facture dépassant les 30 milliards d’euros par an.
Ainsi, le premier poste de dépenses directes (mais pas le plus coûteux) correspond aux actions de l’État dans la lutte contre l’exclusion, puisque l’hébergement d’urgence reste l’une des rares politiques sociales non décentralisées. Par exemple, explique l’OFCE dans un récent rapport « c’est à l’Etat qu’incombe la prise en charge des ménages exclus du parcours résidentiel; ces aides regroupent à la fois la gestion des situations d’urgence (…) grâce à un spectre large de moyens et de dispositifs (…) mais également la création de structures d’hébergement. » En 2014, les crédits engagés dans ces différents programmes s’élevaient à plus de 1,36 milliard d’euros et se composaient d’une action « Prévention de l’exclusion (59 millions d’euros) et surtout d’une action « Hébergement et logement adapté » (1,3 milliard d’euros) au sein duquel sont notamment présentes les dépenses liées à l’hébergement d’urgence (pour 389 millions) et aux centres d’hébergements et de réinsertion sociale (pour 623 millions).
Un impact direct sur la situation sanitaire et sociale des individus
Cependant, l’essentiel des coût à imputer directement aux situations de mal-logement et pesant sur la collectivité est constitué des dépenses publiques visant à améliorer les « situations de logement anormales subies par les ménages« . Sur-occupation, dépendance, adaptation au handicap mais aussi amélioration des conditions d’isolation ou de chauffage, tous ces postes représentent une part non négligeable des quelque 20 milliards d’euros d’aides à la personne versés chaque année par l’État et les organismes sociaux. Ainsi, rien que pour l’hébergement d’urgence, les aides publiques au logement s’élevaient à 3.8 milliards d’euros en 2013, et il serait hasardeux de supposer que la situation s’est améliorée depuis…
Enfin, le mal-logement tient une place très importante dans l’aggravation d’un certain nombre de situations déjà délicates par ailleurs : santé, chômage et même résultats scolaires sont autant d’éléments de conditions de vie directement impactés par le mal-logement, générant des coûts économiques et sociaux pour les ménages comme pour la société dans son ensemble. Par exemple, selon l’enquête nationale Logement 2013, 2.5 % des ménages sont touchés par la précarité énergétique (déclarent avoir souffert du froid chez eux durant le dernier hiver) et plus de 20% rapportent la présence de signes d’humidité sur les murs de leur logement (moisissures, condensation, …). Sur le plan sanitaire, ces conditions de vie entretiennent, aggravent et parfois même causent des affections plus ou moins graves, qu’elles soient aigües ou chroniques (maladies ORL saisonnières, allergies, asthme, insuffisance respiratoire, saturnisme…), avec un coût pour l’assurance maladie mais aussi des conséquences sur le marché de l’emploi (absentéisme, inaptitude, etc.). Enfin, toujours dans l’ENL 2013, 11 % des ménages souffrent du bruit à domicile (logement mal isolé, non insonorisé…) et près de 10% sont en situation de surpeuplement accentué ou modéré, soit 2,7 millions de ménages. L’OFCE a procédé à un certain nombre de recoupements statistiques qui montrent qu’environ 10% du retard scolaire mesuré serait expliqué par des conditions de logement dégradées.
Au total, en comptant, d’une part, les dépenses de protection sociale liées aux mauvaises conditions de vie, et d’autre part les dépenses directement affectées à la lutte contre l’exclusion et pour l’aménagement d’habitation d’urgence, le coût du mal-logement en France dépasse les 30 milliards d’euros par an. Une situation que la construction de nouveaux logements ne pourra que très partiellement améliorer et qui nécessiterait surtout une vraie campagne de réhabilitation des centres urbains notamment.
Pour rappel, selon la Fondation Abbé Pierre, plus de 3,6 millions de Français sont mal-logées, dont 133.000 sans domicile, et plus de 5 millions « fragilisées par la crise du logement ».