Jeune journaliste français, Bastien Renouil était au Sénégal il y a quelques mois. A l’occasion de reportages pour un hebdomadaire sénégalais, il s’est penché sur les conditions de vie dans les mines du pays, celles qui n’ont pas vraiment d’existence légale. Et a réalisé un reportage marquant sur l’une d’elles, dans la région de Kédougou, au sud-est du Sénégal, à la frontière du Mali et de la Guinée. Son article est à découvrir en ligne sur Ipressdestress.com. Pour Loretlargent.info, il revient sur ce qu’il a ressenti lors de ce reportage. Une occasion de se pencher sur les conditions d’extraction aurifère dans certains pays, où la « Clean Extraction » est encore loin de trouver sa place.
– Qu’est ce qui vous a poussé à vouloir en savoir plus sur les mines, et sur ce qu’il s’y passait ?
« J’ai pu découvrir de nombreuses problématiques qui empoisonnent les habitants. En ce qui concerne les mines, j’ai appris l’existence des exploitations « informelles » à mon arrivée dans le pays, en parcourant les journaux locaux qui sont très partagés à ce sujet. Ils ont tendance à croire que l’or peut rapporter beaucoup au pays sans forcément s’intéresser aux conditions d’exploitation. Le problème le plus souvent évoqué est le faible emploi de la main d’œuvre locale, sans nécessairement parler des soucis que j’ai pu constater : pillages, prostitution, travail infantile et pollution énorme. Mais quelques journalistes prennent tout de même la peine d’évoquer le sujet, mais sans nécessairement aller sur le terrain. C’est ce qui m’a motivé à aller voir sur place ce qu’il se passait exactement. »
– Quelles conditions de travail avez-vous observées ?
« Les conditions de travail sont celles que l’on peut imaginer dans n’importe quelle exploitation minière artisanale d’un pays sous développé. Des hommes venus des quatre coins de l’Afrique de l’Ouest travaillent plus de dix heures tous les jours dans des conditions très dures. Dans certaines mines, ils sont au fond de puits qui vont jusqu’à 40m de profondeur, au fond desquels il règne une chaleur insoutenable. En théorie, ils ne risquent pas de s’effondrer grâce à la texture de la terre qui permet aux parois de se maintenir en bon état, mais un accident peut toujours survenir.
Une fois sortis des puits, les mineurs vivent dans de grands villages, sorte de bidonvilles construits autour de la route qui va jusqu’à la mine. L’hygiène y est souvent déplorable, les incendies sont fréquents, et les vols sont légion (il y a même des bandes armées qui viennent du Mali selon de nombreux habitants.) Les femmes sont extrêmement peu considérées – elles sont souvent reléguées au rang de prostituées – et les enfants doivent souvent travailler. Des fois dans les mines, quand elles sont illégales, et souvent autour de celles-ci lorsqu’elles sont artisanales mais autorisées par une autorité locale (chef de village), pour apporter nourriture, eau… »
– Vous vous attendiez à un tel état des lieux ?
« Pour être honnête, je m’attendais au pire en allant sur place. Je n’ai donc pas été particulièrement surpris, mais c’est tout de même impressionnant de voir l’étendue des villages aurifères et les conditions de vie des gens qui habitent dans ces régions. En revanche, ce à quoi je n’avais pas pensé, c’est l’impact de la plus grosse mine du pays sur l’environnement, à Sabodala. La compagnie Teranga Golds (une mine industrielle canadienne) s’est implantée dans les lieux depuis plusieurs années et a creusé un pitt vraiment énorme, détruisant une des terres agricoles occupées par des paysans. Une activité bien accueillie par l’Etat, et de façon plus mitigée par les habitants, qui sont dédommagés par des programmes d’aide à l’alimentation, à l’agriculture, à l’éducation… les avis sont partagés. »
– Quelles sont les actions menées, ou non, par le gouvernement par rapport aux conditions de vie, à l’insécurité et au travail des enfants ?
« Dans les villages que j’ai visités, l’action du gouvernement est inexistante. La seule autorité sur place est le chef de village, qui ne peut strictement rien faire si ce n’est empocher de l’argent. La police passe très rarement et n’a pas les moyens d’intervenir. Et si elle les avait, pas sûr que le gouvernement s’intéresserait à ce problème très rarement évoqué. Le travail des enfants est interdit dans le pays. Certains mineurs m’ont affirmé avoir déjà vu des inspecteurs sur le terrain, une information que je n’ai pas pu vérifier. Mais quand bien même ils existeraient, cela m’étonnerait que leur pouvoir soit très important. J’ai du mal à imaginer comment ils pourraient agir dans ces terres reculées, très enclavées, et extrêmement pauvres.
Le seul contrôle qu’effectue le gouvernement, c’est celui de l’or qui ne peut en théorie pas sortir des frontières sans être passé par un exportateur officiel. En théorie seulement, puisque la frontière malienne est extrêmement poreuse (de nombreuses pistes circulent au travers de paysages vallonnés et très végétalisés, rendant impossible les contrôles). De source sûre, une grande partie de l’or extrait des mines artisanales est envoyée au Mali, ou l’export est moins règlementé. Et selon un négociant que j’ai pu contacter, cet or arriverait régulièrement dans les mains des bijoutiers européens, notamment en Suisse. »
– La mise en place d’une exploitation responsable vous semble-t-elle envisageable ?
« La question de l’exploitation responsable me semble un peu hors de propos pour l’instant. Ils n’ont pas les moyens de s’offrir des mines sures, ni de quoi se payer un logement décent, des habits en bon état… J’ai vraiment du mal à voir comment leur situation pourrait s’améliorer sans l’action du gouvernement. Si les autorités se décidaient à agir pour obliger les enfants à aller à l’école, créer des dispensaires, faire de la prévention contre le SIDA, les choses pourraient peut être évoluer. Sans ça, je ne vois pas ce qui pourrait aider les populations locales. C’est d’ailleurs en partie ce qu’elles demandent, en plus de retombées économiques qui tardent à venir selon les habitants de la région. »
– Quels sont les effets que vous avez pu observer sur l’environnement ? Est-ce qu’une extraction responsable envers l’homme et l’environnement vous semble possible ?
« Pour l’écologie, il est clair que ce n’est pas la première question que se posent les mineurs. Les mines déforment terriblement le paysage et détruisent des pans entiers de forets (la région est assez boisée). Le mercure utilisé pour extraire l’or est rejeté à même le sol, il pollue donc énormément les terres. Et les ordures rejetées polluent la région, au risque de déclencher des épidémies.
Pour l’extraction verte, je pense que c’est quelque chose de plus envisageable que l’extraction responsable envers l’homme. Je pense que l’action d’ONG pourrait fortement aider à cela. Ne serait-ce que pour le traitement du mercure et la mise en place d’un système de traitement des déchets. Mais pour l’instant, peu de monde s’intéresse à cette partie du pays qui se retrouve un peu délaissée. En revanche, il est clair que seuls, les mineurs ne peuvent rien faire. »
Lire l’article complet du journaliste « Ruée vers l’or : le Sénégal a ses airs de Far West »