Depuis janvier, le marché de l’or de Londres est sujet à de très fortes tensions. Ceux qui veulent prendre livraison de leur métal doivent attendre… longtemps. Certains hurlent à la « pénurie d’or », quand d’autres n’hésitent pas à crier au « défaut de la LBMA ». D’autres encore anticipent déjà de la « fin de l’or papier ». Il est clair qu’il se passe quelque chose à Londres et à New York mais, à ce stade, ces analyses me semblent (très) exagérées…
Avant de vous donner mon interprétation de la situation, je vous propose de commencer avec un peu de terminologie.
La London Bullion Market Association (LBMA) : c’est quoi ?
La LBMA est l’association commerciale internationale créée en 1987 représentant le plus grand marché mondial de l’or de gré à gré. C’est ce qu’on appelle communément le « marché de l’or de Londres » (London Bullion Market).
Il s’agit d’un marché de l’or de gros sur lequel s’approvisionnent les investisseurs institutionnels et les professionnels du secteur des métaux précieux, à même d’assumer un ticket d’entrée très élevé.
Ce n’est pas un marché de détail qui s’adresserait aux particuliers.
Cotation : qu’est-ce que le cours de l’or de la LBMA ?
Comme on peut le lire sur le site de la LBMA, « Les cours de référence de l’or […] de la LBMA sont les prix de référence mondiaux de l’or [..] non alloué, livré à Londres. »
Quel est le cours de l’or aujourd’hui ? (prix de l’once)
L’once d’or a clôturé la semaine passée à 2799,18 € à Londres.
Combien coûte un lingot d’or d’1 kg ? (prix au kilo)
Cela porte le prix du lingot d’1 kilo à un peu plus de 93 000 €.
Comment transférer de la valeur dans un lingot d’or en France ?
C’est possible ici.
Pour ce qui est de l’once d’or, son prix, établi deux fois par jour, porte donc sur le cours de l’or au comptant (cours spot, par opposition aux cours de l’or à terme) sur un marché de l’or organisé sur la base de réserve fractionnaires (c’est-à-dire de l’or non alloué) – la LBMA ne s’en cache aucunement.
Faut-il s’insurger vis-à-vis de cette situation ?
Pas du tout !
Pourquoi le marché de Londres est-il le plus grand marché au comptant du monde ?
C’est justement en fonctionnant sur une base non-allouée[1] que le marché de Londres a pu réduire ses coûts de gestion au minimum, afin d’offrir aux professionnels une place hyper concurrentielle pour échanger de l’or.
Le marché de Londres est donc le marché au comptant le plus efficace au monde, car il est le plus simple, le moins cher et le plus liquide… en temps normal ! (J’y reviendrai plus loin.)
Certification : qu’est-ce que l’or certifié LBMA ?
L’or certifié par la LBMA, dit « de bonne livraison »,porte sur des barres d’or répondant à 5 critères principaux définis par la LBMA :
- Avoir été produite par un raffineur accrédité par la LBMA ;
- Peser environ 400 onces troy (soit 12,44 kg), être d’une longueur de 28 cm et être d’un niveau de pureté supérieur à 99,5% ;
- Être dans un état de conservation satisfaisant ;
- Faire l’objet de certains marquages ;
- Tout cela dans le cadre de conditions de stockage précisément encadrées permettant de retracer le parcours de chaque barre et garantissant son authenticité de manière absolue. C’est ce qu’on appelle la chaîne d’intégrité du stockage agréé par la LBMA.
L’or répondant à ces London « Good Delivery » rules est dit « de bonne livraison ». La qualité des produits circulant sur le marché de gros de Londres répond ainsi aux plus hauts standards en vigueur à l’échelle mondiale.
Ceci posé, venons-en à l’actualité.
Pourquoi l’or de Londres s’envole-t-il en direction de New York ?
Au mois de janvier, le président américain Donald Trump a brandi la menace des droits de douane sur les importation d’or.
En toute logique, la demande américaine a réagi en se portant à la hausse sur le COMEX, le marché à terme de New York.
Pour simplifier à l’extrême, la demande new-yorkaise a été telle que l’écart entre le cours de l’or au comptant (à Londres) et les cours de l’or à terme (à New York) s’est fortement accentué. Cet écart, appelé prime, constitue une anomalie de marché.
Et comme à chaque fois que se présente une aberration de ce genre, les arbitragistes (souvent des banques), dont c’est le métier, sont intervenus pour profiter de cette situation afin de se remplir les poches. Voici comment Jan Nieuwenhuijs décrit le phénomène à l’œuvre : « Les arbitragistes achètent de l’or de par le monde, vendent à découvert des contrats à terme à New York, transportent l’or par avion jusqu’à un coffre du COMEX, et effectuent une livraison physique pour couvrir leurs positions courtes. » Naturellement, ils empochent au passage la différence.
Voilà pourquoi, mi-février, les stocks d’or physique du COMEX ont dépassé leur plus haut historique atteint lors du Covid, et les demandes de livraison ont elle aussi atteint un nouveau sommet historique.
Y a-t-il « pénurie d’or » sur le marché de Londres ?
Ce c’est ce que l’on peut lire à longueur de colonnes.
De mon point de vue, la réponse est non.
Et pour cause : parler de « pénurie » sur le marché de l’or est un non-sens, un mythe. L’or n’est pas une denrée qui est consommée lors de son utilisation, comme le sont par exemple le sucre ou le cacao. D’immenses stocks d’or dorment dans des entrepôts. Ils se réveilleront quand le cours de l’or sera assez élevé. Il ne saurait ainsi y avoir de « pénurie » d’or… qu’à un cours donné ! C’est le b.a.-ba du marché de l’or, avec les notions de ratio stock/flux de l’or et de demande de réservation.
En pratique, il n’y a à ce stade qu’une pénurie… de bras ! Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la Banque d’Angleterre, la seule composante du marché de Londres tout est alloué, n’est pas un entrepôt Amazon. Ses contraintes logistiques ne sont pas les mêmes, sans parler des contraintes administratives relatives aux opérations sur l’or. Quand les demandes de livraison explosent à la hausse, il est logique que la liquidité se réduise, et qu’une file d’attente et des délais se forment.
Il n’y a donc pas de pénurie d’or : il n’y a que des retards de livraison annoncés, à ce stade de 4 à 8 semaines. Comme le résume Jan Nieuwenhuijs : nous avons affaire à un problème « d’offre et de demande, de logistique et de capacités de raffinage qui peuvent être inélastiques. »
De la même manière, il n’y a pas eu de « défaut du marché de l’or de Londres » : pour autant que je sache, aucune des partie détenant une créance en or à Londres n’a crié au défaut, et aucune entité n’a fait banqueroute.
De la même manière, peut-être arrivera-t-elle un jour, mais « la fin de l’or papier » (à Londres comme à New York) ne me semble pas être pour demain.
Le 21 février, le Conseil mondial de l’or notait que les coûts d’emprunt sur le marché de l’or à Londres (gold lease rates), qui avaient explosé à la hausse à partir du 26 janvier, venaient de fortement retomber. Autrement dit : cela reste à vérifier, mais les frictions sur le marché de Londres pourraient bien être en train de s’atténuer.
Notons que le phénomène auquel nous assistons n’est pas une nouveauté. En 2020 déjà, à l’époque du Covid, le marché de l’or avait essuyé une rupture temporaire de ses chaînes d’approvisionnement. Les stocks d’or du COMEX de New York avaient déjà gonflé sous l’effet des importations de métal en provenance de Londres.
Alors, rien de neuf sous le soleil ?
Il ne faut cependant pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Voici notamment ce qu’écrivaient Ronald Stöferle et Mark Valek, les deux spécialistes d’Incrementum, dans leur dernier Monthly Gold Compass, publié le 7 février : « À l’heure où nous écrivons ces lignes, de nombreuses rumeurs circulent également au sujet d’un “gold squeeze”, les stocks d’or physique semblant s’épuiser dans le monde entier.
Nous invitons toujours nos lecteurs à se méfier des rumeurs et des affirmations exagérées ou trompeuses.
Cela dit, les livraisons d’or sont élevées et il se passe quelque chose. »
Affaire à suivre, donc…
Après avoir donné la parole à la défense, dans un prochain billet, je vous présenterai une théorie alternative.
À bientôt !
[1] Quel pourcentage des transactions réalisées est réalisé sur du métal alloué ? On l’ignore, la LBMA ne communicant pas à ce sujet.
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