Les cartes des forces économiques sont en train d’être rebattues. L’hégémonie du dollar est remise en question par de nombreux pays. Dans le même temps plusieurs banques centrales renforcent leurs stocks d’or. Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Les réponses de Philippe Béchade rédacteur en chef des publications Agora, lors de la Rencontre Annuelle 2024 d’AuCOFFRE.
Les BRICS cherchent à faire monnaie commune
Le rôle d’une monnaie est avant tout commercial mais elle peut aussi servir de réserve de valeur. Ainsi le dollar a ce double rôle depuis des décennies. Accepté par la quasi-totalité des acteurs sur la planète, il est aussi considéré comme une valeur monétaire importante pour les États. La « dette » américaine sous forme de bons du Trésor est une valeur sûre.
Les BRICS veulent se dédollariser
Les pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud pour les fondateurs et une cinquantaine d’affiliés) veulent avant tout commercer ensemble. Pour cela, la Chine leur propose le E-Yuan ou le Yuan. Mais ils veulent aussi trouver un remplaçant au dollar pour garantir leurs monnaies. Les Russes notamment estiment que l’or serait un bon remplaçant.
Pas assez d’or pour couvrir la masse monétaire
Comme l’explique Philippe Béchade dans l’interview donnée pour la rencontre annuelle 2024 d’AuCOFFRE, le problème c’est qu’il n’y a pas assez d’or pour couvrir l’ensemble de la masse monétaire mondiale émise depuis que les accords de Bretton Woods sont tombés : « Ou alors il faudrait un prix de l’once multiplié par douze ! » dit Philippe Béchade.
Un étalon or nouvelle formule ?
Le dernier étalon or que nous avons connu, c’était avant 1971, « seul le dollar était indexé sur d’or à 35 $ ». Les autres monnaies dépendaient du dollar. Pour Charles de Gaulle « cela permettait aux Américains de s’endetter sur le dos des autres pays » puisque la parité or-dollar était gravée dans le marbre (à 35 $ l’once). C’est ainsi que le Général a décidé de changer les dollars de la France en or. Quelques mois plus tard, les Anglais font la même chose. Les stocks d’or de la FED sont sous pression, Nixon décide de casser les accords de Bretton Woods. Le prix de l’or est libre.
Philippe Béchade estime donc qu’il serait plus sain d’indexer les monnaies, toutes les monnaies, en direct sur l’or. Si un pays est mal géré, alors sa monnaie est dévaluée.
Des stocks d’or au cœur des tensions commerciales et monétaires
On l’a vu avec la Russie. Les stocks d’or comptent beaucoup dans la capacité d’un pays à se passer du dollar en particulier et des économies occidentales en général. Poutine depuis son accession au pouvoir n’a de cesse de reconstituer les stocks d’or de la Russie. Quand les occidentaux, après l’attaque de l’Ukraine, décident de couper l’accès aux flux financiers … Cela ne semble pas avoir plus d’effet qu’une piqure de moustique sur un ours. Moscou se tourne vers les pays des BRICS (la Chine et l’Inde notamment) et utilise son or non traçable pour faire du commerce.
La Chine et la Russie sous-estiment leurs stocks d’or ?
Quand on voit le classement des stocks d’or des banques centrales, on peut être étonné de ne pas voir la Chine et la Russie en tête du classement. Ou au moins dans le Top 3. La Russie est 5ème, la Chine 6ème, derrière les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie et la France. C’est particulièrement étonnant quand on sait que les Russes et les Chinois sont de gros producteurs d’or.
L’or pour acquérir une véritable autonomie monétaire
D’autres pays ont décidé depuis quelques années de constituer des stocks d’or importants. Ils sont une dizaine à acheter régulièrement plusieurs tonnes chaque année.
Et deux d’entre eux sont particulièrement actifs.
- La Turquie qui a dû défendre sa monnaie (la Livre Turque) sous la première présidence de Donald Trump. Depuis, la banque centrale d’Ankara est très active sur le marché de l’or.
- La Pologne est aussi très attirée par l’or. Ce qui peut paraître plus étonnant parce que ce pays d’Europe de l’est ne semble pas sous les fourches caudines du géant Américain. Pour les Polonais, c’est sans doute la proximité avec la Russie qui est la raison principale de cette fièvre acheteuse d’or.
Le cours de l’or et les achats des banques centrales
Taux d’intérêt, ETF gold, conflits géopolitiques sont souvent considérés comme des facteurs qui jouent sur le cours de l’or.
Les banques centrales : acheteurs massifs d’or physique
Comme le précise Philippe Béchade : « qui achète le plus de tonnes d’or physique ? Les banques centrales. ». Donc pour lui, cela influence bien évidemment le cours de l’or. D’ailleurs poursuit-il «si la Chine ne donne pas la réalité de son stock d’or c’est bien pour permettre à d’autres membres des BRICS de constituer des stocks d’or. Si la Chine annonçait des stocks faramineux, alors le prix de l’or s’envolerait et empêcherait d’autres pays d’acheter des tonnes.