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Un trésor constitué de 6kg d'or trouvé en Allemagne. L'or que l'on pense enterré fini toujours par refaire surface.
Un trésor constitué de 6kg d or trouvé en Allemagne. L or que l on pense bien enterré fini toujours par refaire surface.

Pour répondre à cette question, nous devons revenir au commencement de cette saga.
Tout au long de l’Histoire, l’or a joué deux rôles – décoratif et monétaire – qui se sont renforcés l’un l’autre. L’or conférait la puissance à cause de son indiscutable et indestructible beauté, mais cette puissance était d’autant plus grande que l’or acquérait plus d’importance en tant que monnaie.
Néanmoins les ferments qui allaient conduire à la perte finale par l’or de son statut de monnaie apparaissent très tôt dans cette histoire. L’innovation par inadvertance du papier-monnaie par Hien Tsung, au IXe siècle, était la première étape dans cette voie. Des substituts encore plus efficaces à la monnaie métallique apparurent ensuite au Moyen Age, avec l’usage croissant de la monnaie de crédit comme les lettres de change et le développement en parallèle des activités de banque. Dès le VIIe siècle, l’accélération de la croissance du commerce et de la production avait causé un besoin urgent et croissant pour du numéraire. Avec le temps, l’or se révéla plus un handicap qu’un instrument efficace pour conduire les affaires.

L’étalon-or qui surgit presque par accident au XIXe siècle reconnaissait explicitement ce glissement dans la fonction de l’or, qui passait moins fréquemment de main en main. Dorénavant la plus grande partie de l’or monétaire restait, au contraire, dans les chambres fortes des banques comme la garantie collatérale suprême pour les monnaies de papier et les dépôts bancaires employés dans les transactions commerciales et financières en pleine expansion. L’or était consacré comme l’étalon absolu et la protection inattaquable – la garantie que les politiciens ne déclencheraient pas des émeutes en créant des formes plus abstraites de monnaie et en provoquant une inflation sauvage comme cela avait été sí souvent le cas par le passé. En 1928, George Bernard Shaw, que l’on ne peut soupçonner de conservatisme, résuma parfaitement cette attitude dans son Guide du capitalisme et du socialisme à l’usage de la femme intelligente :  » Vous devez choisir entre mettre votre confiance dans la stabilité naturelle de l’or ou bien dans l’honnêteté et l’intelligence des membres du gouvernement. Et, sauf le respect dû à ces gentlemen, je vous conseille, tant que le système capitaliste fonctionne, de voter pour l’or. »

Même ce rôle central de l’or était condamné d’avance. L’impatience des hommes politiques était loin d’être la seule force qui conduirait finalement à l’enterrer. L’issue était écrite dans la magnitude et la complexité croissante des activités financières en général et du fonctionnement des gouvernements en particulier. Il apparaissait de plus en plus irrationnel de gérer un système financier global avec un métal dont les sources avaient été arbitrairement distribuées par la nature, les principales d’entre elles se trouvant dans des pays aux régimes aussi contestables que la Russie ou l’Afrique du Sud. L’or était devenu un anachronisme.
Mesurée à partir de 1870 jusqu’au moment, en 1971, où Richard Nixon a tranché le dernier lien avec l’or en tant qu’étalon et protection, la longévité de l’étalon-or n’a été qu’une fraction de celle du besant des Byzantins. Christophe Colomb, John Locke, David Ricardo et Montagu Norman auraient été bien étonnés de découvrir que leurs vérités éternelles n’étaient pas aussi éternelles qu’ils le pensaient.

Et pourtant nous ne pouvons pas être certains que cette saga touche à sa fin. En 1875, comme nous l’avons vu, l’économiste anglais distingué Stanley Jevons avait prévenu que  » les hommes sont tenus pour si peu responsables des dégâts qu’ils font à la monnaie que ce n’est pas une bonne chose de laisser sa gestion à leur entière discrétion « . Néanmoins, la gestion discrétionnaire est précisément le système que le monde a choisi à la place des contraintes imposées par l’or. Enfin libérés des entraves dorées, tous les pays du monde fonctionnent désormais avec des systèmes monétaires et des devises convertibles en rien d’autre que les devises d’autres pays, tout ceci effectué sans coût, en pressant simplement sur les touches d’un clavier d’ordinateur. Nous n’avons plus de monnaie pouvant être testée avec une pierre de touche pour déterminer si elle est authentique.

Beaucoup de gens pensent que le dollar est le liant qui maintient tout le système ensemble, comme le fit l’or dans le passé. Aujourd’hui, en d’autres termes, le dollar américain semble jouer le même rôle sur la scène internationale que celui joué par la livre britannique au XIXe siècle. Mais, après la Seconde Guerre mondiale, les réserves d’or de la Grande-Bretagne étaient depuis longtemps épuisées, et l’offre de livres sterling était tellement supérieure à leur demande que leur valeur plongea.
Le dollar n’est pas plus un métal que ne l’était le sterling ; et il n’est pas différent des devises des autres nations. Il se trouve simplement que c’est encore le rivet central du système au début du XXIe siècle. Aucun rivet central n’a jamais duré indéfiniment, pas même l’or.
L’idée est répandue que le dollar a fait la loi non seulement à cause de la formidable puissance économique de l’Amérique mais aussi grâce à l’extraordinaire savoir-faire des financiers qui se sont succédé à la barre de la banque centrale américaine – le système de Réserve fédérale. Un article de Floyd Norris dans le New York Times du 14 mai 1999 était intitulé « Qui a besoin de l’or quand nous avons Greenspan ? « . Ce titre reflétait une opinion largement partagée à notre époque.

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Rappelons-nous l’observation de Benjamin Disraeli en 1895 : « Notre étalon-or n’est pas la cause, mais la conséquence de notre prospérité commerciale. « De la même manière, les banquiers centraux de tous les grands pays du monde apparaissaient peut-être compétents dans les années 1980 et 1990 car les conditions économiques de ces années les faisaient apparaître compétents. Il n’y avait pas de conflit international majeur risquant de déclencher l’inflation. Les poussées inflationnistes causées par l’État-providence avaient été étouffées par le démantèlement d’une partie des filets de protection sociale et par l’obsession de comprimer les déficits budgétaires, pas seulement aux États-Unis mais aussi en Europe, dans une bonne partie de l’Amérique latine, et en Asie. L’économie mondiale était férocement concurrentielle, et les entreprises américaines étaient les plus compétitives de toutes. Les réserves pétrolières connues pendant ces années étaient beaucoup plus importantes qu’au début des années 1970. Bref, à la fin du XXe siècle, aucune force irrésistible ne mettait à l’épreuve les réelles compétences des banquiers centraux ni ne secouait le dollar dans sa position dominante.

Rappelons-nous aussi les observations de Marco Polo sur la devise de Kublaï Khan :  » La production de la monnaie [de Kublaï Khan], écrivait-il, est organisée de telle sorte que l’on peut réellement dire qu’il a maîtrisé l’art de l’alchimie… La procédure d’émission est aussi formelle et officielle que s’il s’agissait de pur or ou argent… La monnaie est authentique… Cette monnaie, le Khan en possède de telles quantités qu’il pourrait s’il le voulait acheter tous les trésors du monde.  » Si Marco Polo était encore parmi nous, il ferait sans aucun doute observer la remarquable ressemblance entre le dollar américain et l’émission monétaire de Kublaï Khan. Pourtant, nous ne sommes pas plus assurés de la permanence de l’hégémonie du dollar que de la dominance passée du papier-monnaie de Kublaï Khan, des pennies d’Offa, du besant, du dinar, du ducat, ou de la livre sterling. Durant les périodes de fièvre inflationniste de la fin des années 1970 et du début des années 1980, les gens apeurés et même ceux qui s’y connaissaient se détournèrent des dollars pour aller vers l’or. Dans les périodes inévitables où de telles turbulences réapparaîtront, l’Histoire pourrait bien se répéter elle-même. Les marchés de l’or sont développés et actifs.

Ainsi que Robert Mundell, lauréat du Nobel d’économie 1999, le fit remarquer en recevant son prix à Stockholm, « la chose principale qui fait défaut aujourd’hui est une monnaie universelle, un étalon de valeur, le lien entre le passé et le futur, et le ciment qui relie les différentes communautés humaines éloignées les unes des autres « . Il poursuivit en rappelant à son audience que l’or avait rempli ce rôle depuis l’époque d’Auguste jusqu’en 1914 et que « l’absence de l’or comme élément intrinsèque de notre système monétaire aujourd’hui rend, à cet égard, notre siècle – celui qui vient juste de s’écouler – unique depuis plusieurs milliers d’années « . Mundell exprime sa thèse avec emphase, mais l’absence de monnaie universelle continuera d’être une plaie pour l’économie mondiale tant que le problème ne sera pas résolu.
En mars 1997, bien avant de savoir qu’il serait un jour honoré par l’Académie suédoise, Mundell avait fait la prédiction suivante :  » L’or sera un élément du système monétaire international au XXIe siècle.  » C’était une déclaration audacieuse et sujette à controverse, inquiétante aussi. L’or sera peut-être de nouveau la protection ultime dans une période chaotique. Le retour de l’or à son rôle traditionnel de monnaie universelle est, cependant, peu probable, sauf si le dollar, l’euro et le yen cessaient tous les trois d’être des moyens de paiements acceptés internationalement.

L’histoire de l’or contient un enseignement plus profond, qui n’est pas rattaché aux qualités éphémères de ce que nous choisissons comme monnaie. Dans un sens plus général, l’histoire de l’or n’a pas de fin.
L’aspect le plus frappant de cette longue histoire est que l’or a fait trébucher la plupart des protagonistes du drame. Les uns après les autres, les personnages se sont comportés comme le voyageur de Ruskin qui s’est noyé agrippé à son or, et ils ont découvert trop tard que c’était l’or qui les possédait. Midas, Jason, Crésus, les empereurs byzantins, les survivants de la Grande Peste, Pizarre et son empereur Charles Quint, MacArthur le chimiste, Montagu Normaiì et Benjamin Strong, Charles de Gaulle et les fanatiques de l’or des années 1980 – tous étaient habités par l’obsession de l’or, mais ils étaient à la poursuite d’une illusion. Aucun ne connut le destin qu’il espérait.

Ceux qui pensaient que l’or était une protection contre les incertitudes de la vie ne comprenaient pas que la quête de l’éternité ne peut pas être satisfaite avec de l’or, ou par tout autre substitut : les dollars, les euros, ou ce que vous voudrez. L’or en tant que fin est absurde. La thésaurisation ne crée pas la richesse. L’or et ses substituts n’ont de sens qu’en tant que moyen : pour embellir, pour décorer, pour échanger contre ce dont nous avons besoin et que nous voulons réellement.
Peut-être que les héros les plus sages de notre histoire étaient les simples habitants de Jenné et de Tombouctou qui échangeaient dans le silence l’or contre le précieux sel dont ils avaient besoin pour vivre.

Extrait de l’ouvrage de Peter L. Bernstein « Le pouvoir de l’or : Histoire d’une obsession »

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    Jean-François Faure
    Jean-François Faure. Président d’AuCOFFRE.com. Voir la biographie.

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