L’or est tellement apprécié en Asie, et plus particulièrement en Inde, que la saison des mariages en automne arrive à faire bouger très sensiblement le cours de l’or mondial (cf cet article). L’Inde et l’or, c’est une véritable histoire d’amour vieille de plusieurs siècles. Reportage.
L’or, on le trouve sous toutes ses formes depuis des siècles au cœur de l’Inde. Les riches et les pauvres le portent, le vénèrent et l’échangent. Ils ne jurent que par lui, ils meurent par lui. Sans âge, indestructible, toujours changeant, l’or est l’obsession de l’Inde.
L’Inde, une foule gigantesque, le paradis des sens, un miracle bouillonnant. Avec près d’un milliard d’habitants, l’Inde est, après la Chine, le pays le plus peuplé de la planète. Nous sommes début novembre, l’organisation du plus grand festival de l’année bat son plein. Le Diwali, le festival des lumières, marque un moment de célébration où les familles se retrouvent et échangent des cadeaux. Le plus apprécié d’entre eux, l’or.
On croirait que les trois millions d’orfèvres que compte le pays s’y sont tous mis pour produire des chaînes, des bracelets, des pendentifs, des colliers ou quelque bijou que ce soit. Les pièces frappées à l’image de Lakshmi, la déesse de la fortune et de la prospérité, sont parmi les cadeaux les plus populaires. En Inde, l’or fait partie intégrante de la vie sociale et religieuse.
Les hindous se rassemblent dans les lieux saints et les temps pour rendre grâce à Lakshmi. Femme de Vishnu, le protecteur du monde, Lakshmi est une incarnation de la déesse mère. La légende rapporte qu’elle est née rayonnante et adulte de l’écume de la mer. L’adoration classique ou puja requiert une prière, des cadeaux ou des fleurs et de l’argent. L’adorateur reçoit ensuite un peu de nourriture bénie par la déesse.
Ce soir, Lakshmi battra la campagne à la recherche d’une lumière dans le noir et d’un endroit pour s’établir l’année qui vient. A cette intention, les maisons sont nettoyées et l’air est purifié avec de l’encens. Un petit autel à son effigie est décoré d’offrandes, de friandises, de fleurs et d’argent.
Ce soir, une pièce d’or frappée pour l’occasion sera plongée dans un verre de lait de vache, la boisson des dieux.
Timothy S. Green, auteur du livre « Le monde de l’or » : « Ce qui vous frappe la première fois que vous allez en Inde, c’est l’influence qu’a l’or dans la vie de tous les jours. Si vous vivez dans un petit village loin de la ville, vous ignorez tout des banques, de la bourse mais vous obtenez une bonne récolte et vous gagnez un peu d’argent. Qu’est-ce que vous faites ? Eh bien, vous allez chez l’orfèvre du coin parce qu’il n’y a pas de banques et vous achetez quelques bijoux. C’est un signe clair que les affaires et la famille vont bien et c’est aussi une assurance. Et si la prochaine récolte est mauvaise ou que vos enfants tombent malades et que vous avez besoin d’un peu d’argent, vous retournez vendre votre bijou chez l’orfèvre et vous pouvez acheter des médicaments ou quoi que ce soit.»
L’or à 22 carats est racheté au taux du jour. Puis, il est refondu dans un four. Près de 200 tonnes sont ainsi recyclées chaque année et l’or réapparaît au beau milieu d’un mariage.
La tradition exige au moins un collier, deux bracelets, une bague et une paire de boucles d’oreilles, tous en or 22 carats.
L’or accompagne les Indiens pendant toute leur vie, mais c’est lors des mariages hindous qu’il trouve sa consécration. En Inde, on juge encore le statut social d’une famille d’après le montant d’or figurant dans la dot. Aujourd’hui, 3 000 personnes sont venues de tout le pays pour une fête qui durera quatre jours. L’or est omniprésent. On estime à 7 000 tonnes l’or détenu par des particuliers en Inde. C’est une part essentielle de la vie et de ses rituels pour les riches comme pour les pauvres.
Bindou Madhav est l’un des plus riches vendeurs d’or du pays. C’est aujourd’hui le mariage de sa fille, une occasion rêvée. Une chose est sûre, l’or ne manquera pas. On le retrouve même dans les fils de son sari. La mariée porte en moyenne jusqu’à 200 grammes d’or, mais ceci n’est pas un mariage ordinaire.
L’Inde a absorbé beaucoup de métaux précieux pendant des siècles, mais récemment la demande d’or a explosé. De nos jours, environ 800 tonnes d’or y sont consommées chaque année, bien plus que les autres gros consommateurs, les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite ou l’Italie.
« En Inde, la consommation d’or neuf représente environ 20% de l’or minier extrait chaque année, c’est plus que tout autre pays. Cela ne changera pas à court terme, il est très intéressant de constater que l’importation légale de l’or est très récente. Jusqu’au début des années 90, il entrait en fraude. »
Comme beaucoup de pays après la deuxième guerre mondiale, l’Inde a interdit l’importation d’or. C’était considéré comme gâcher de précieuses devises, mais la demande a enrichi les contrebandiers. Beaucoup d’or arrivait dans des vestes de toile portées sous les chemises, un bon passeur pouvait emporter 25 ou 30 kilos.
Ce système d’envoi fonctionnait très bien surtout depuis l’Europe de l’Ouest. Les passeurs étaient entraînés à rester assis pendant huit heures sur un siège d’avion et à se lever avec facilité. Mais le renforcement de la sécurité dans les aéroports a contraint les contrebandiers à imaginer de nouvelles solutions pour amener cet or.
Dans les années 90, l’Inde a autorisé à nouveau l’importation de l’or avec de légères taxes, mais cela n’a pas suffi. Bien qu’il ne représente plus qu’une petite part de ce qui entrait illégalement dans les années 70 et 80, l’or est toujours le plus important article de contrebande en Inde. Une grande partie arrive par la mer via le port de Bombay.
A.S. Sidhu, directorat pour l’étude des revenus : « Cela reste l’objet le plus trafiqué. Environ 100 tonnes d’or sont entrées illégalement en Inde ces deux dernières années, généralement de Dubaï, de Hong-Kong, de Singapour, de Thaïlande et un petit pourcentage de Turquie. »
«Levez votre chemise, levez ! » Ces deux marins russes arrêtés par les douanes de Bombay représentent la nouvelle tendance d’un trafic incluant des bateaux de l’ex-bloc soviétique. On peut y camoufler facilement de grosses quantités d’or, mais le débarquement est risqué.
Cette saisie de dix petits lingots, des biscuits comme on les appelle, représente quelque 20 000 dollars et en aurait rapporté à chacun des passeurs à peine mille. La plupart de l’or qui arrive en Inde termine en bijoux dans une forme plus pure qu’en occident, car ce n’est pas une mode mais bien un investissement. Ici, il est pur à plus de 90% contre 50 à 75% en Amérique et en Europe.
A la revente, la pureté est vérifiée sur une pierre de touche, un morceau de jaspe en grains fins légèrement abrasif. Frottée au métal, elle révèle une couleur définie dans une gamme standard.
La demande annuelle en or est dictée par la mousson et par la saison des mariages. Une bonne récolte, c’est plus de mariages, car les fermiers changent leurs bénéfices en or. Aussi importante est la longueur de la saison des mariages qui peut durer de novembre à mai. Si les signes astrologiques sont favorables, une bonne année peut voir dix millions de mariages avec l’or en vedette. Mais tous les douze ans, quand Jupiter entre dans le lion, les hindous ne se marient pas.
Alors qu’en occident l’or est travaillé mécaniquement, en Inde, les techniques sont inchangées depuis des siècles. Ces chefs-d’œuvre de délicatesse proviennent d’ateliers surchauffés et bondés.
Le plus grand monument indien dédié à l’or se situe peut-être près de la frontière nord avec le Pakistan, dans la capitale sikhe d’Amritsar. Il y a cinq siècles, les sikhs renoncèrent aux ornements extérieurs de l’hindouisme pour une vie d’austérité. Mais cette absence d’ornement dans leur apparence fut compensée dans leur temple le plus sacré, Harmandir, le Temple de l’Or. Ici, l’or transcende le matérialisme.
Dr Chahan Singh Chan, historien : « Les hindous et les musulmans portent beaucoup d’or, pas les sikhs. C’est un style de vie qui s’est perpétué. »
Le Sikhisme est né des enseignements de Nanak, un gourou qui prêchait : il n’y a pas d’hindous, il n’y a pas de musulmans. Sans vouloir insulter les religions, il ne faisait que transcender la bigoterie et la discrimination. A vingt-sept ans, il voyagea pour répandre le message essentiel de l’unicité de l’espèce humaine. Il convertit des hommes et des femmes par son message de paix et de foi. Ils devinrent ses disciples, en sanscrit sesya qui donna le mot sikh.
Dr Chahan Singh Chan : « Les sikhs ont appris le désintéressement. Ils donneraient tout l’or du monde au Tempe d’Or. C’est le don suprême pour eux. Le maharajah Ranjit Singh utilisa 200 tonnes 22 carats pour recouvrir le Temps d’Or. Aujourd’hui, cent cinquante ans plus tard, une organisation sikhe a décidé d’effectuer à nouveau le travail. »
L’or est fixé aux parois en plaques doublées de cuivre pour le renforcer. Les anciennes techniques d’alliage de l’or et du cuivre étaient primitives. Le cuivre s’est corrodé et l’or s’est écaillé.
Dr Chahan Singh Chan : « Il y avait très peu à récupérer, le métal était corrodé et il n’y avait pas de techniques permettant de bien coupler l’or et le cuivre. Maintenant, il y a des spécialistes. Le chef m’a raconté qu’ils ont récolté et utilisé 300 tonnes d’or. J’ai voyagé partout, mais je n’ai jamais rien vu de tel. C’est le Dieu de la Création qui t’a conçu et t’a béni dans la gloire. Nous savons que l’or est un métal très résistant, il brillera pour toujours. Au moins, deux mille ans. »
Les propriétés remarquables de l’or l’ont conduit depuis des siècles à des usages plus matérialistes. Les alchimistes ont toujours prétendu que l’or avait des vertus curatives. Des textes vieux de trois mille ans décrivent comment on l’utilisait comme stimulant cardiaque et nerveux ou comme remède à la migraine, à l’impuissance ou au rhumatisme chronique.
L’or continue à jouer un rôle important dans la médecine d’aujourd’hui, plus de deux tonnes sont utilisées chaque année dans la fabrication de médicaments ayurvédiques. Il y a cent cinquante ans, Zandu Bhattji, le médecin en chef du maharajah de Jamnagar créa un laboratoire pour produire en masse ces médicaments. Il rêvait de distribuer les bienfaits de l’Ayurveda au peuple. Grâce à ses succès, la Zandu Pharmaceutical Works naquit à Bombay en 1910 et est maintenant le plus important laboratoire de médicaments ayurvédiques d’Inde.
La plupart des médicaments sont faits à base de racines et d’herbes, onze composés contiennent de l’or. Afin que le corps l’assimile bien, l’or subit une longue et une complexe préparation. Il faut d’abord qu’il soit très pur, il s’agit essentiellement de le réduire en particules les plus petites possible. On prend dix morceaux, on les roule finement et on les coupe en lamelles. L’or est ensuite broyé et dissout dans du mercure. On rajoute du soufre. La poudre obtenue est scellée dans des pots d’argile que l’on place dans un four à haute température.
Une fois refroidie, la poudre obtenue est à nouveau pilée puis augmentée de gypse, puis elle retourne au four. Ce cycle de pilage et de chauffage est répété cent cinquante fois pendant six mois jusqu’à l’obtention d’une poudre surfine.
Après des heures de préparation, les futurs jeunes mariés sont réunis au moment culminant de la cérémonie. Rien n’est loué ou emprunté, l’or de la mariée lui appartient exclusivement, c’est une sécurité contre les incertitudes du futur. Quand le rideau s’abaisse, les futurs époux se mettent face à face. Traditionnellement, c’est la première fois qu’ils se voient.
Après l’échange des guirlandes de fleurs, l’équivalent des alliances, c’est l’échange des vœux à l’aide d’une ceinture incrustée d’or. Les mariés effectuent ensuite sept fois le tour du feu sacré en se faisant sept promesses solennelles. La bénédiction de la jeune fille par son père signifie qu’il la cède définitivement à son mari. Dorénavant, l’or unit les deux familles à tout jamais, de la même manière qu’il unit les passions et la destinée de l’Inde entière.
Reportage de Mark Verkerk et André Janse pour France5. En VOD sur Vodeo.tv
Transcription : ABW pour LORetLARGENT.info