Au fil de son histoire, la monnaie a subi toutes sortes de métamorphoses. Sans aucun doute, d’autres encore l’attendent. Après les monnaies primitives, les métaux et la monnaie papier, quelle nouvelle forme adoptera la monnaie du futur ? On peut envisager au moins 3 scénarios : 1. la généralisation des monnaies numériques de banques centrales ; 2. l’avènement d’une nouvelle forme d’étalon-or ; 3. le triomphe de Bitcoin.
Avant d’étudier chacune de ces hypothèses, je vous propose de revenir brièvement sur les grandes étapes de l’histoire de la monnaie.
Quelles formes la monnaie a-t-elle emprunté à travers les âges ?
« La monnaie n’a pas d’inventeur, pas plus que le feu ou la roue. Elle n’a pas de date de naissance, parce que des centaines de générations ont participé à son enfantement. Son histoire prend place dans l’histoire des échanges, dont elle représente l’ultime étape », écrit René Sédillot dans son Histoire de l’or (Fayard, 1972).
Quels « articles » l’homme a-t-il choisis pour dépasser le stade du don récompensé et du commerce muet ?
Les monnaies primitives
Les ethnologues ont recensé plusieurs centaines de monnaies primitives, lesquelles varient en fonction des ressources des peuplades concernées :
- Peuples pêcheurs : poisson séché (Islande), dents de marsouin (îles Salomon)… ;
- Peuples chasseurs : fourrures animales (Canada et Russie)… ;
- Civilisations rurales : produits végétaux (thé au Tibet, riz en Corée, amandes en Perse, graines de cacao chez les Aztèques, orge chez les Babyloniens…) ;
- Civilisations artisanales : produits ouvrés (tapis aux Samoa…).
Cependant, seules deux de ces monnaies sont parvenues à dépasser leur zone d’influence d’origine :
- Le coquillage : il se distingue par son utilité en tant que matière première (par exemple pour se transformer en épingle ou en hameçon) et sa beauté (pour composer des bijoux), mais ce n’est pas tout. Il présente également l’avantage d’être relativement solide et durable, et facilement transportable.
- Le bœuf : dans la Grèce homérique, il a été l’étalon de mesure des richesses. Par l’intermédiaire des Romains, notre langue lui doit les termes de capital (caput signifie tête de bétail en latin) et de pécuniaire (pecus signifie bétail).
Le premier a eu la préférence des peuples de la mer (Chine, pourtour de l’océan Indien, Afrique noire des rives atlantiques, Philippines et Polynésie), quand le second a été la monnaie de prédilection des peuples de la terre.
Cependant, comme l’explique Sédillot : « dans beaucoup de cas, ces monnaies élémentaires ne valent que pour certaines catégories de transactions […] : il y a la monnaie pour bijou, la monnaie pour nourriture, et non pas la monnaie à tout faire. »
Et pour cause, ni le coquillage ni le bœuf ne remplissent l’ensemble des fonctions fondamentales de la monnaie, qui doit permettre à la fois de mesurer, d’échanger mais aussi d’épargner.
C’est ainsi que l’Homme a laissé de côté ces formes primitives de monnaie pour recourir au métal qui, lui, remplit toutes ces conditions.
Les monnaies métalliques
Les barres, lingots, plaques, tiges, croix et poudres de métaux précieux ont ainsi revendiqué le monopole sur la monnaie.
Avant que l’or, l’argent, le cuivre (Chine), le bronze (Grèce, Rome) et l’électrum (Grèce) ne se distinguent, il aura fallu en passer par le fer (Sparte et Chine), l’étain (Sumatra et Inde), le plomb (Thaïlande), le platine (Russie), le fer-blanc (Argentine), le nickel, l’aluminium et l’acier.
Puis, après plusieurs siècles de règne de ces monnaies-marchandises, l’Homme a fini par opter pour le papier.
Du métal au papier
Cette transition s’est produite suite à l’avènement de deux nouveautés :
- Les orfèvres, ancêtres des banques commerciales modernes, ont introduit les premiers billets de banques et le système de réserves fractionnaires ;
- L’introduction des bâtons de comptage en tant que système d’enregistrement des paiements, dans l’Angleterre médiévale.
C’est par la conjonction de ces deux innovations financières qu’est née la monnaie fiduciaire. Initialement, elle a pu se répandre sur la base de la confiance accordée aux orfèvres par leurs clients. Par la suite, les États et les systèmes bancaires ont eu pour charge de maintenir cette confiance.
En 2025, cela fera 54 ans que la monnaie papier règne en maître, après que le président Richard Nixon a coupé le dernier lien qui unissait l’or à la monnaie.
Le problème, c’est que la confiance qui sous-tend nos monnaies fiduciaires est vacillante, ce qui pose la question suivante…
Quelles nouvelles formes pourrait prendre la monnaie dans les prochaines décennies ?
Répondre à cette question implique d’évacuer l’hypothèse du statu quo.
La fin de la monnaie papier telle que nous la connaissons aujourd’hui (c’est-à-dire dépourvue de contrepartie métallique) n’est certes pas pour demain. Ceci dit, on est en droit d’y réfléchir, et ce pour au moins 2 raisons :
- Lorsque la situation l’exigera, les États vont devoir proposer une solution à leur problème de surendettement ;
- Le système monétaire international contemporain est déséquilibré au profit des Etats-Unis, donc au détriment de l’Europe et des BRICS+. Voilà des décennies que ces deux groupes de pays préparent un plan B.
Qu’est-ce que le projet de nouvelle monnaie de la Russie et des BRICS+ ? Quel nom ?
A ce stade, il s’agit surtout de propagande russe. Les avancées les plus significatives ont lieu du côté du projet mBridge.
Quoi qu’il en soit, tôt ou tard, la monnaie finira donc par entamer une nouvelle mue… mais quels seront ses nouveaux oripeaux ?
Monnaies américaine, française et européenne : en route vers les MNBC ?
Contrairement à certaines monnaies numériques privées (comme le bitcoin), les MNBC sont gérées de manière centralisée, en l’occurrence par une banque centrale.
Officiellement, les MNBC ont vocation à moderniser les systèmes de paiement, en rendant les transactions plus rapides, moins coûteuses et plus transparentes.
Elles revêtent néanmoins un potentiel totalitaire, l’État ayant tous pouvoirs sur ce type de capitaux :
- Imposition d’un taux négatif ou d’une date d’expiration ;
- Contrôle des capitaux ;
- Traçage des transactions ;
- Gel arbitraire des avoirs pour cause de mauvais « score social » (sur le mode chinois)…
Tout sera théoriquement possible.
L’euro numérique, c’est quoi ?
C’est tout simplement le nom que porte le projet de MNBC de la Banque centrale européenne.
Vers une nouvelle forme d’étalon-or ?
Les projet de monnaie saine aux Etats-Unis face au dollar…
C’est ce que j’ai évoqué dans mon précédent billet au sujet du Texas. Ceci dit, les États américains ne sont pas les seuls à contester la suprématie du dollar.
Reste du monde : la monnaie, au niveau international, va-t-elle se relier à l’or ?
Ce genre de scénario pourrait également être initié par les BRICS+, voire par l’Europe. Pour certains auteurs, voilà plus de 50 ans que les banques centrales concurrentes de la Fed préparent l’avènement d’un système monétaire international équitable, donc durable, au sein duquel l’or occupera à nouveau une place centrale.
Il n’est ainsi pas exclu que les métaux finissent par faire le grand retour dans l’histoire de la monnaie.
Monnaie électronique : et Bitcoin, dans tout ça ?
Au travers du projet de réserve nationale porté par Donald Trump et Cynthia Lummis, le bitcoin est en passe de faire un bon de géant sur la voie du statut de monnaie.
Longtemps considérée comme « exotique », l’hypothèse d’une grande économie qui adouberait le bitcoin de son sceau est devenue réaliste avec la campagne présidentielle américaine, et très probable suite à l’élection du candidat républicain.
Cependant, comme l’écrit Bruno Bertez, « ce qui compte [, pour que bitcoin devienne une monnaie à part entière], ce n’est pas le prix ou la détention institutionnelle ou même le fait que les entreprises détiennent du bitcoin dans leur trésorerie. Non. Ce qui compte, c’est de savoir si des personnes ou des entreprises assument des obligations/liabilities libellées en bitcoins. Ce qui fera du bitcoin une monnaie de réserve, c’est quand on s’endettera en bitcoins. »
Alors, quelle monnaie (mondiale ?) pour le futur ?
Alors : maintien du statu quo, MNBC, retour à une forme d’étalon-or, ou étalon-bitcoin ?
Certaines hypothèses ne sont pas exclusives les unes des autres.
Affaire à suivre…