Ravivée par la contestation prétendument populaire contre la future loi Travail (portée par la pauvre Myriam El Khomri qui n’en demandait pas tant pour son baptême du feu), une vieille rengaine datant de l’époque de la lutte des classes refait brusquement surface, laissant entendre que les employeurs français n’ont qu’une obsession : pouvoir licencier à tour de bras.
Contester cette vision passéiste de l’entreprise est aujourd’hui considéré comme une provocation pour la plupart des manifestants qui ont récemment défilé dans les rues. Ou en tout cas, pour leurs meneurs et maîtres à penser. Mais la réalité est là : 99,9 % des employeurs sont d’abord et avant tout des chefs d’entreprise, c’est à dire des personne qui ont choisi de prendre leur destin professionnel en main plutôt que d’attendre qu’on le leur impose. Parmi ces gens, on en trouve un certain nombre qui ont besoin des autres pour développer leur entreprise. Et donc qui embauchent.
Jusque là, le « patron » semble être un ami du travailleur, puisqu’il lui propose de l’argent contre son travail et son savoir-faire. Même si certains aimeraient bien qu’il propose plus d’argent pour moins de travail, mais c’est un autre débat… Là où ça se gâte, c’est quand l’activité ou bien encore les ressources de l’entreprise commencent à fluctuer. Que ce soit en raison d’un durcissement de la politique de prélèvements obligatoires, ou qu’il s’agisse d’un problème lié au vieillissement du marché, voire encore d’un accroissement de la concurrence, bien souvent, l’entreprise a brusquement besoin de dépenser moins, à défaut de pouvoir gagner plus (ou même juste autant). Inévitablement, une fois épuisées les méthodes classiques d’économies budgétaires (qui font souvent râler en interne), il ne reste bientôt plus que la solution de compression de personnel pour réduire les coûts.
Des clichés sur le patron qui ont la vie dure
Et là, certains imaginent déjà l’ignoble patron en train de se taper la bedaine de contentement (oui parce que le patron est gros et gras, c’est bien connu) en ricanant, un cigare au coin des lèvres, à la pensée de tous ces travailleurs jetés à la rue par sa seule volonté. Ça tombait bien, il commençait à s’ennuyer à force de passer son temps à jouer au golf au bord de sa piscine.
Sérieusement ? Y a-t-il encore des gens pour croire qu’un employeur est heureux de licencier ? Je ne parle pas des quelques 0,1% de grands patrons de multinationales qui, sans émotion d’ailleurs, utilisent leur main-d’œuvre répartie un peu partout sur la planète comme une simple variable d’ajustement économique. Non, je parle de l’écrasante majorité de chefs d’entreprise qui se voient contraints de se séparer de leurs collaborateurs, le plus souvent pour des raisons économiques, et qui le vivent comme un véritable échec. Un échec personnel d’abord, parce que n’en déplaise aux crypto-marxistes et autres nostalgiques de l’Internationale ouvrière, le patron est un être humain comme les autres, conscient de ses responsabilités et suffisamment implanté dans la vie économique et sociale de tous les jours pour savoir que sa décision aura souvent de lourdes conséquences pour ceux qui seront concernés. Et un échec professionnel aussi, pour la plupart d’entre eux, car lorsqu’ils en viennent à devoir licencier par manque d’activité, c’est qu’ils entrevoient déjà la possibilité d’une fin pour leur propre aventure entrepreneuriale.
Faciliter les licenciements ne va pas inciter les employeurs à licencier davantage
Peut-on alors seulement penser qu’un employeur va applaudir des deux mains à l’annonce d’une simplification des procédures de licenciements ? Bien sûr que non. Il aura juste en revanche l’impression qu’on aura pris en compte l’inutilité de la double peine qu’on lui infligeait jusqu’alors : obligé de licencier, il devait en plus subir une administration lourde et coûteuse, comme si le moment n’était pas assez pénible comme cela.
Peut-on ensuite croire qu’il attendait avec impatience ces nouvelles mesures simplificatrices pour pouvoir enfin se débarrasser d’un maximum d’employés ? Ce serait d’abord stupide, car s’il a recruté à une époque, c’est bien qu’il était convaincu que ses employés concourraient directement à la richesse de son entreprise comme à son développement. Décider de se séparer d’un ou plusieurs collaborateurs revient alors généralement à se priver de ce qu’ils apportaient dans l’entreprise, et bien souvent à faire le choix d’une baisse d’activité que les employés restants devront compenser, au risque d’engendrer une grogne sociale, donc une nouvelle baisse de productivité, etc.
La Loi Travail doit s’inscrire dans une politique globale d’aide à l’emploi
Néanmoins, ce qui est possible (et que la loi devra davantage encadrer là où elle ne l’a pas déjà fait suffisamment), c’est que quelques employeurs peu scrupuleux cherchent à profiter de cette « simplification » de la procédure pour licencier des personnes peu productives au profit de nouvelles embauches sur des profils plus intéressants pour le développement de l’entreprise. Cela met en lumière la nécessité d’accompagner toutes ces décisions politiques par des mesures facilitant la formation continue, par exemple. Mais c’est surtout nier l’existence de règles qui s’appliquent déjà depuis quelques décennies et qui interdisent tout simplement de licencier sur motif économique pour embaucher moins cher.
Alors définitivement, non, arrêtons de croire qu’un employeur voit son bonheur dans le licenciement. Car, au contraire, un employeur ne peut exister que s’il a des employés. Bien sûr qu’il y a des subtilités et que cette vision un peu trop manichéenne pourrait être battue en brèche par tout un tas d’histoires particulières de patrons pourris, car il y en a. Mais ceux-là n’ont pas besoin de règles venant faciliter leurs agissements : ils s’en sont bien passés jusqu’ici, ils peuvent parfaitement continuer à ne pas se préoccuper de la législation du travail. Ce qui est désolant, en revanche, c’est qu’ils servent d’épouvantails à une certaine catégorie d’opposants politiques dont le fonds de commerce est d’ailleurs uniquement l’opposition systématique, quitte à se retourner contre leur propre camp quand il a de bonnes idées.