Les primaires de la droite et du centre ont rendu leur verdict en donnant à l’outsider François Fillon une victoire aussi large qu’inattendue. Avec plus des deux tiers des votes en sa faveur, l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy a en effet été élus avec un score digne de feu le Général de Gaulle. Pour autant, ce n’est pas de cet ancien président de la République que le héraut de la droite se revendique. Bien au contraire, s’il lui emprunte certaines postures assez radicales sur la société ou la place de la France dans le monde, il est en revanche parfaitement en phase avec son temps par sa compréhension de l’économie mondialisée et son pragmatisme libéral.
Et c’est justement ce même libéralisme que certains lui reprochent aujourd’hui, en lui prêtant par ailleurs des intentions particulièrement bienveillantes en faveur des plus riches. D’ailleurs, la mesure emblématique et ô combien décriée de son programme politique qui cristallise l’essentiel des critiques, c’est bien l’abrogation de l’ISF. Certains y voient en effet le signe indiscutable que celui qu’on annonce déjà à l’Élysée en 2017 sera avant tout le président des riches.
L’ISF, cet illustre inconnu
En réalité, si cette polémique révèle bien quelque chose, c’est la méconnaissance du sujet par ceux qui crient au scandale. En effet, l’ISF n’est rien d’autre qu’un dispositif idéologique qui n’a même pas l’avantage de frapper les plus riches, et dont les recettes sont de toute façon ridiculement symboliques au regard de ce qu’il faudrait collecter pour soutenir la politique sociale de la France.
Rappelons déjà que l’impôt de solidarité sur la fortune est censé concerner les individus détenant un patrimoine excédant 1,3 millions d’euros. Sauf qu’il existe un très grand nombre de dérogations et d’exceptions qui font que, en pratique, l’intégralité des grandes fortunes françaises en sont partiellement, voire totalement (!) exonérées. Car les hommes et les femmes politiques qui ont soutenu cette mesure depuis une trentaine d’années sont les mêmes qui ont régulièrement répondu favorablement aux sirènes de nombreux lobbies pour amender la loi et accorder de multiples exonérations. Sont ainsi dispensés d’ISF les biens professionnels, les antiquités, les œuvres d’art, les bois et forêts, les parts dans le foncier agricole, etc. Ne restent finalement plus que les liquidités, l’immobilier et les biens meubles (mobilier, véhicules, bijoux…), ce qui fait dire à la majorité des économistes que l’ISF n’est en fait qu’un impôt sur les biens immobiliers détenus par les ménages. À côté de cela, les Bolloré, Pinault, Lagardère, Bouygues et autres capitaines d’industrie passent complètement en-dessous des radars malgré leur statut de premières fortunes de France, tout simplement parce que l’essentiel de leur patrimoine est constitué de « biens professionnels » ou d’œuvres d’art (nous passerons bien sûr sous silence les biens détenus à l’étranger et sur lesquels le fisc a parfois été appelé à faire preuve d’une certaine cécité bienveillante).
L’ISF, un impôt parfois injuste
Ainsi, l’ISF concerne aujourd’hui environ 340 000 personnes (on en comptait 600 000 en 2009), pour la plupart des Français de classe moyenne dont le principal tort (car en France, être considéré comme « riche » est un tort) est souvent de posséder un bien immobilier dont la valeur s’est fortement appréciée au gré des fluctuations du marché. On peut par exemple trouver le simple propriétaire d’un appartement parisien qui lui a été transmis par son père, lequel le tenait lui-même des générations précédentes, et qui pourrait par exemple se négocier 2 millions d’euros… s’il était mis en vente. Sauf que ledit propriétaire y vit avec sa famille et qu’il n’a pas forcément les moyens de déménager. On a aussi le modeste agriculteur qui peine à joindre les deux bouts et qui est pourtant imposé sur la « fortune » parce que sa propriété est située depuis plus d’un siècle sur l’Île de Ré, l’un des endroits les plus chers de France.
Alors, certes, il y a encore des gens qui paient l’ISF sur leurs comptes bancaires bien garnis et leurs portefeuilles boursiers excédentaires. Pourtant, à la base, l’idée n’était pas de taxer ces gens-là (lesquels sont par ailleurs déjà largement mis à contribution par le biais d’une kyrielle de prélèvements sociaux et fiscaux sur les plus-values et les intérêts), mais plutôt ceux dont la fortune se situe bien au-delà de la « simple » aisance financière. Les vrais riches, en quelque sorte, ceux qui ont les moyens de se dispenser de payer l’ISF…
L’ISF, un impôt quasiment inutile
L’objectif est donc non seulement raté, mais cet impôt a peu à peu été vidé de sa substance à grands coups d’exceptions et de copinages dans les hautes sphères, pour devenir finalement un machin idéologique destiné à flatter les plus basses passions populistes de ceux qui n’ont toujours pas compris que la France n’a pas besoin d’avoir moins de riches, mais plutôt moins de pauvres. Et sur ce plan là également, force est de constater que l’ISF ne remplit pas vraiment sa fonction première de redistribution des richesses.
Avec un peu plus de 5 milliards d’euros de recettes, on est loin, très loin, des quelques 715 milliards que coûte la protection sociale en France. Quant à la lutte contre la pauvreté, la France compte près de 9 millions de pauvres, qualifiés comme tels en raison d’un revenu inférieur à 60% du revenu médian. En imaginant que l’intégralité des sommes collectées par l’ISF leur soient intégralement reversées, chacune de ces personnes pourrait au mieux espérer toucher… 50 euros de plus tous les mois. Difficile d’y voir une réussite.
L’ISF, un impôt qui a fait fuir les capitaux
De fait, la suppression de l’ISF ne perturberait pas outre mesure le budget de la protection sociale (même Manuel Valls juge qu’il est inefficace), et, tout en mettant un terme à une situation particulièrement hypocrite favorisant justement les plus riches, elle permettrait au contraire de redonner envie aux Français aisés de rester en France et peut-être même d’y revenir pour ceux qui en sont déjà partis. Avec à la clé de possibles nouveaux investissements et des créations d’emploi.
Enfin, en ce qui concerne l’or et les métaux précieux, la suppression de l’ISF constitue également une bonne nouvelle car, en cas de dépréciation monétaire (de plus en plus probable à horizon 2020), l’or et l’argent verraient par exemple leur cours monter en flèche avec potentiellement une plus-value à deux ou trois chiffres, pouvant du même coup faire basculer le statut fiscal de leur détenteur du mauvais côté de la « richesse ».