Indépendamment des revendications enflammées en faveur d’un hypothétique califat mondial, les motivations derrière les attentats qui ont frappé l’Europe ces derniers mois (et qui continueront malheureusement à la frapper dans un avenir proche) sont très probablement liées à des intérêts beaucoup plus matérialistes que spirituels. Des intérêts qui, de surcroît, concernent au moins autant les États-Unis que la vieille Europe.
Un dessin de presse publié quelques heures après le terrible double-attentat qui a frappé la Belgique mardi dernier montrait un agent de police scientifique dénichant une médaille au milieu des décombres de l’aéroport saccagé. L’allusion n’est pas subtile et fait référence à la récente polémique entourant la remise de la Légion d’Honneur au prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Nayef. Car, comme toujours, difficile de ne pas voir la main de l’Arabie saoudite derrière le financement des terroristes se revendiquant de Daesh.
Et à ce titre, justement, on peut légitimement se demander si l’objectif visé par ces attentats n’est pas directement lié aux intérêts saoudiens.
Stratégie de sur-production pétrolière
On le sait, l’effondrement des cours du pétrole de ces derniers mois a coûté très cher aux pays du Golfe, à commencer par l’Arabie saoudite qui, non seulement a perdu beaucoup d’argent dans cette guerre de l’or noir, mais aussi probablement sa position hégémonique sur le marché du brut en faveur de la Russie qui contrôlerait aujourd’hui 73% de l’offre mondiale. À l’origine, cette stratégie visait surtout à laminer le marché émergent de pétrole et de gaz de schiste dont les États Unis s’étaient faits les fers de lance. Et c’est vrai que l’économie américaine a pris du plomb dans l’aile sur ce secteur. Mais paradoxalement, aidés par un coût de l’énergie devenu soudain plus bas, ces mêmes États-Unis en ont profité pour se réindustrialiser fortement. Et finalement leur économie se porte plutôt bien, avec même une situation de quasi plein-emploi.
Ce que n’avaient prévu les princes du Golfe, c’est que grâce à un euro qui s’était bien renforcé depuis la mi-2015, le dollar s’est vu mécaniquement déprécié, rendant du même coup la production américaine plus rentable. Les pétro-monarques soudiens ont donc plutôt raté leur coup, mais le processus est désormais allé trop loin pour s’arrêter sur un échec, et l’Arabie saoudite sait que le temps est compté avant qu’elle n’ait plus les moyens d’assurer sa stratégie de sur-production destinée à noyer les Américains. D’ailleurs, elle a été récemment contrainte de lâcher du lest, principalement sous la pression des autres pays de l’Opep qui n’avaient la même capacité à supporter des cours aussi bas. Néanmoins, faire remonter les prix ne servirait plus à grand chose car, désormais, les États-Unis ont montré qu’ils étaient capables de rebondir quels que soient les cours du pétrole : à 110 dollars le baril, leur propre brut est rentable ; à 30 ou 40 dollars, ils basculent sur une économie d’industrie.
Briser l’Europe pour faire remonter le dollar
Seule solution pour briser la résistance américaine : affaiblir durablement l’euro (et dans une moindre mesure le yuan) afin de faire remonter le dollar dans un jeu de vases communicants que même la FED ne pourrait plus contrer, piégée qu’elle est par sa propre politique de taux déjà très bas (et qu’elle peut difficilement rendre encore plus bas).
Par conséquent, des attentats en France (l’une des deux locomotives européennes avec l’Allemagne) ou même la Belgique, siège des principales institutions européennes (l’attentat du métro a eu lieu dans une station du quartier européen de Bruxelles) peuvent alors être vus également comme des symboles de la volonté de désorganiser l’Union Européenne, déjà fortement fragilisée par la crise des migrants, la faillite des pays du Sud et l’incertitude planant sur un éventuel Brexit.
Et, sans vouloir jouer les Cassandre, on peut hélas envisager que d’autres frappes viennent prochainement endeuiller les Européens, par exemple en Allemagne (en vue de déstabiliser le leader européen dont la population n’est pas aussi europhile qu’on le pense), ou encore aux Pays-Bas (qui assurent la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne depuis le 1er janvier dernier). Voire malheureusement en France, une fois de plus, juste parce que notre pays reste l’un de ceux dans lesquels il est le moins compliqué d’entrer pour mieux préparer de nouvelles exactions. Avec notamment la complicité passive d’une classe politique engluée dans ses vieux réflexes culpabilisants qui la rendent incapable de prendre des dispositions efficaces.
Une guerre qui ne nous concerne pas
Au final, peut-être payons-nous le prix d’une guerre qui ne nous concerne pas, une guerre économique entre les pays du Golfe d’un côté et les Américains de l’autre. Une guerre où le pétrole vaut plus cher que le sang et où la seule religion réellement concernée est celle du Dieu-dollar. Peut-être aussi que la Légion d’Honneur remise à Mohammed ben Nayef était une sorte de symbole d’allégeance, de reddition, et qu’il est déjà trop tard pour tous ceux qui croiraient encore à un avenir sans pétrole en France.
Quoi qu’il en soit, gardons-nous des amalgames, non pas vis-à-vis de certaines communautés qu’on a depuis longtemps réussi à monter les unes contre les autres, mais plutôt à l’égard de certaines manifestations de violence dont on aurait tort de croire qu’elles sont toutes animées des mêmes intentions.