Chaque mois, nous interviewons Charles Sannat, Directeur des Etudes Economiques d’AuCOFFRE.com et éditorialiste du Contrarien Matin, sur l’économie, les finances, la politique. Il décrypte pour nous l’actualité et nous livre ses conseils contrariens et avisés.
Loretlargent.info – La rentrée a été riche en actualités, que faut-il retenir ?
Charles Sannat – Les deux vraies nouvelles sont d’une part l’annonce par la BCE de rachat de dette souveraine de façon illimitée et celle de la FED qui propose de racheter chaque mois 40 milliards de titres « pourris », hypothéqués sur l’immobilier, de façon illimitée. Le point commun entre ces deux décisions est le rachat « illimité ».
Loretlargent.info – Sont-ce vraiment de bonnes nouvelles ?
CS – Oui, à court terme. Mais cela ne fait qu’éloigner dans le temps les risques de faillite d’Etats qui sont inéluctables en Europe.
Aux Etats-Unis c’est encore pire, il y a un risque de faillite des Etats et des banques. On ne fait que repousser les mauvaises nouvelles. Sinon à court terme, tout va bien !
Loretlargent.info – Que va-t-il se passer entre le court et le long terme ?
CS – A moyen terme, il va falloir choisir. Soit on continue de racheter de la dette de façon illimitée, cela revient à créer de l’inflation illimitée, soit on le fait « à l’européenne », c’est-à-dire de manière illimitée, mais sans faire n’importe quoi. En accompagnant les interventions des « supra organismes » financiers de plans d’austérité. C’est ce que l’on appelle les « conditionnalités ».
Loretlargent.info – En Grèce, en Espagne, en Italie… les plans d’austérité ne sont pas bien perçus par la population…
CS – Quand on demande à un pays de mettre de « l’ordre dans ses finances publiques », c’est ultra récessif. Cela signifie pas de croissance et choc fiscal, on commence déjà à évoquer la taxation des retraites. Pour le moment, on ne baisse pas les dépenses publiques mais en augmentant les taxations, on casse la croissance, ce qui creuse le déficit.
Le mécanisme d’un plan d’austérité est le suivant :
L’augmentation des impôts entraîne une augmentation des dépenses qui entraîne une augmentation des déficits. C’est un nouveau tour de vis, c’est exactement ce qui s’est passé en Grèce, en Italie, en Espagne… La récession est un cercle vicieux.
Loretlargent.info – Au niveau économique, qu’implique un état de récession ?
CS – Cela signifie clairement moins de bénéfices pour les entreprises et notamment pour celles cotées en bourse. Les marchés devront prendre en compte tôt ou tard la récession en cours, chose qu’ils n’ont pas encore faite maintenant. Ils sont en lévitation, ça ne pourra pas tenir.
Loretlargent.info – Si la bourse s’effondre, qu’en sera-t-il de l’or papier ? Se comportera-t-il comme les autres actifs ?
CS – L’or peut se comporter de deux façons. S’il y a une crainte de récession, alors il y aura à nouveau un mouvement de correction sur l’or, comme ce fut le cas fin 2011. Le cours de l’or est soumis à l’impression monétaire, il y a appréciation de l’or à la hausse lorsqu’il y a dévaluation monétaire. De même il est soumis à la baisse lorsqu’il y a une crainte de déflation, en cas de politique d’austérité et de récession.
Loretlargent.info – Alors que conseiller aux personnes qui ont ou qui veulent acheter de l’or ?
CS – Il y a vraiment une différence de comportement entre le court et le long terme. Le mieux c’est d’acheter régulièrement tous les mois, sans s’occuper du cours de l’or. L’or peut baisser, cela ne change absolument rien aux fondamentaux de l’or qui est, je vous le rappelle un placement de long terme. Il faut le dire, à court terme, l’or peut connaître des baisses. Donc aux investisseurs avertis qui souhaitent spéculer un peu et réaliser des plus-values sur du court terme, l’or peut vraiment rapporter, à condition de bien s’y connaître et de tracer le moindre mouvement de l’or.
Loretlargent.info – Qu’attendre de l’avenir ?
CS – Le problème c’est qu’il n’y a pas de relai de croissance à l’heure actuelle. Nous sommes dans le siècle de la rareté et de la sobriété. Le bon sens est de penser qu’on ne peut pas redistribuer de richesses quand il n’y a pas de croissance. Il faut toujours garder une vision à long terme et mondiale des choses, chose qu’a faite François Hollande lors de sa conférence environnementale.
On en revient toujours au même problème qui est que l’on ne peut pas créer de croissance illimitée dans un monde fini. Le modèle même de la croissance sur lequel notre monde repose est à revoir.
Loretlargent.info – Par exemple, que faudrait-il changer ?
CS – Les fondamentaux de la bourse sont mauvais, car ils sont basés sur la consommation de masse. Il faudrait « purger » le CAC40 des valeurs des anciennes actions.
Loretlargent.info – Et pour le particulier ?
CS – Toujours garder une vision de tendance à long terme, dans tout ce que l’on fait, tout ce que l’on achète, se demander si j’ai vraiment besoin de ça, s’il ne vaut mieux pas acheter un modèle plus cher mais durable… Et s’éloigner du bruit de fond quotidien. Il faut essayer de s’en extraire, de sortir de cette frénésie, notamment en termes de gestion patrimoniale. Aujourd’hui, la gestion patrimoniale suit cette frénésie des marchés et embrasse une vision à court terme des choses. Il ne faut pas faire cette erreur de confondre les deux : placements « sûrs » qui rapportent et placements qui sécurisent votre argent (comme la pierre ou l’or).
Traditionnellement, la gestion patrimoniale découle d’une vision à long terme, il faut qu’elle arrive à s’extraire des marchés et des actions.
Loretlargent.info – N’y a-t-il pas un manque à gagner ?
CS – Oui, si l’on considère l’enjeu par le bout de la lorgnette. Si l’on considère les enjeux à long terme, on est gagnant, avec des valeurs refuges comme des terres agricoles. La planète n’a pas assez de ressources, il va falloir tout partager !
Loretlargent.info – Le mot de la fin ?
CS – Stéphane Hessel, dans son dernier ouvrage, dit qu’il va falloir « choisir entre ce qui devra croître et ce qui devra décroître ». Nous sommes définitivement dans l’ère de la rareté. Ce sera le grand combat des 30/40 prochaines années.
Cette crise est aussi une crise de changement de système et le système est déjà en train de changer, dans les petites comme dans les grandes choses.