Après le temps des cerises (sur le gâteau d’une croissance inexistante que tout le monde cherche pourtant à se partager), et le temps des cathédrales (qu’on nous a chanté à tue-tête pour mieux nous faire passer des constructions économiques monumentales aux justifications quasi-religieuses), voici désormais venu le temps des illusions vendues à crédit.
Réjouissons-nous, auto-congratulons-nous même, tout va mieux ! La bourse remonte en flèche, le chômage diminue, le crédit n’a jamais été si bon marché et même les ventes automobiles connaissent une progression fulgurante telle qu’on n’en avait plus vue depuis des années. Alleluiah, nous sommes enfin dans la lumière !
Des indicateurs trompeurs
Pourtant, si j’étais un peu taquin, je m’arrêterais cinq minutes pour regarder ces différents indicateurs de plus près. Prenons le CAC40 par exemple, lequel est censé traduire l’état de santé de nos marchés économiques et financiers, même si dans la réalité, il ne traduit pas grand chose si ce n’est la défiance cyclique envers l’une ou l’autre des 40 plus grosses valeurs cotées à la Bourse de Paris. Qu’à cela ne tienne, prenons cet indice pour un reflet fidèle de la santé économique des marchés, voire du pays. Ces derniers temps, il a été pour le moins chahuté, au point de dégringoler au mois de février en-dessous des 3900 points, ce qui ne lui était plus arrivé depuis fin 2013. Mais depuis 3 semaines, notre CAC national connaît une remontée fulgurante qui l’amène à l’heure où j’écris ces lignes au-delà des 4400 points, effaçant du même coup toutes les pertes accumulées depuis la fin de l’année dernière. Comment ne pas s’en réjouir et ne pas y voir la fin d’une série noire qui commençait à peser lourdement sur le moral des investisseurs ?
Tout simplement en prenant un peu de recul et en se souvenant que la situation d’aujourd’hui est parfaitement comparable à celle qu’on a déjà connue en octobre dernier… laquelle a été suivie d’une baisse brutale qui a duré plusieurs mois. En réalité, les experts s’accordent à dire que la tendance est globalement à la baisse et que non seulement le sursaut actuel ne veut rien dire mais en plus il est fort probable que l’indice redescende tutoyer les 3500 points avant peu de temps. Et pour au moins 6 mois.
Le chômage ensuite, qui fait régulièrement l’objet de communications optimistes sur fond de statistiques avantageuses. L’ennui c’est qu’on ne communique que sur « ce qui fait joli » dans les journaux. Et quand le chômage « baisse », cela signifie surtout qu’une partie des demandeurs d’emploi est sortie de la seule et unique catégorie statistique considérée (la « A ») , certains de nos concitoyens ayant même tout simplement perdu le régime d’allocataire de Pôle-emploi pour se retrouver au RSA. En réalité, sans compter les travailleurs « pauvres » (employés à mi-temps, stagiaires, agriculteurs, sans oublier une majorité d’autoentrepreneurs…), la précarité de l’emploi touche au moins 6 millions de personnes en France, et ne cesse d’augmenter. Pas de quoi se réjouir, donc.
La prochaine « bulle » sera-t-elle bancaire ou automobile ?
Reste le crédit dont les taux actuels semblent constituer un effet d’aubaine pour tous ceux qui rêvent d’acheter un bien immobilier par exemple. Sauf qu’aujourd’hui, même avec ces taux, les gens n’ont tout simplement plus les moyens de s’endetter davantage. Et surtout, si demain la croissance tant attendue revenait, les taux remonteraient à un tel niveau que les banques pourraient bien se retrouver condamnées à perdre de l’argent sur des millions de crédits qu’elles auront accordés à taux quasi-nuls. Là encore, la perspective d’un effondrement massif des banques d’ici 5 ou 6 ans me rend assez peu optimiste quant à l’avenir de l’épargne de millions de Français.
Enfin, l’automobile, un autre prétendu indicateur de la bonne santé de notre économie. Certes, l’équipement des particuliers comme des entreprises a progressé ces derniers mois, mais il convient de rappeler deux faits très concrets qui viendront sans doute modérer l’enthousiasme de ceux qui y voient un bon signe. D’abord, le parc existant est vieillissant, et tous ceux qui avaient renoncé à changer de voiture lorsque la crise de 2008 s’est déclarée… se retrouvent aujourd’hui avec des véhicules de 10-12 ans en moyenne. Et compte tenu de la durabilité très relative des voitures actuelles, la plupart d’entre elles sont arrivées en fin de vie lorsqu’elle atteignent cet âge « canonique ». Donc, le remplacement s’est révélé inévitable pour une grande partie des acquéreurs récents : ils n’ont juste pas eu le choix. Ensuite, acquisition ne veut plus dire achat, même si les véhicules concernés sont comptabilisés dans les « ventes ». En réalité, l’explosion des L.O.A. (locations avec option d’achat) et des L.L.D. (locations longue durée) a certes donné un coup de fouet à l’industrie automobile, mais la contrepartie c’est que les acquéreurs sont désormais plus enclins à louer leur voiture plutôt qu’à l’acheter vraiment (ce qui, au passage, nous promet un marché de l’occasion phénoménal d’ici quelques années). Ainsi, beaucoup d’automobilistes ne sont plus propriétaires de leur voiture aujourd’hui, mais simplement locataires.
Sans doute que sur le plan micro-économique, cette solution a du sens, mais pour le marché de l’automobile en revanche, c’est juste une mesure visant à contourner la baisse constante du pouvoir d’achat des Français. Au risque malheureusement de favoriser une nouvelle tendance à la voiture « jetable » : on loue un véhicule pendant 4 ou 5 ans, et puis on le rend au concessionnaire pour en louer un autre, et ainsi de suite… Une tendance qui, si elle devait se généraliser, ne pourrait plus être absorbée par le marché de l’occasion, compte tenu, à la fois, de l’offre qui sera pléthorique et des conditions d’acquisition du neuf de plus en plus avantageuses.
Ce n’est certainement pas une bonne nouvelle pour l’environnement, ni même pour les constructeurs qui pourraient bien ne jamais rentabiliser leurs coûts de fabrication à long terme. Et si on devait traduire une possible baisse de rentabilité de l’industrie automobile en termes de destruction d’emplois, les conséquences de cette stratégie à courte vue se révèlent particulièrement effrayantes.
Alors, toujours envie de se réjouir ?