Longtemps présentée comme le placement favori des Français, l’assurance-vie est peut-être en train de vivre ses dernières années grâce à l’action conjointe des banques centrales et de la politique gouvernementale.
Depuis toujours, lorsqu’il s’agissait de conseiller un placement de « bon père de famille », l’assurance-vie arrivait en tête. Sure, garantie à plus de 80% par des bons du Trésor, assise sur des milliards en devises qu’on pensait inaltérables, ce produit d’épargne était en outre le plus populaire du point de la rentabilité comme de la fiscalité. Même le sacrosaint Livret A n’a quasiment jamais pu faire mieux en termes de collecte. Aujourd’hui encore, tandis que les taux d’intérêt oscillent autour de zéro et que, justement, le petit livret rouge en est réduit à servir 0,75% par an, l’assurance-vie, quant à elle, continue à proposer des taux annuels avoisinant les 2,3%.
Une manipulation qui ne pourra pas durer
Rassurez-vous, ce n’est ni un miracle ni un effet de l’éventuelle générosité des assureurs. En réalité, les rendements actuels sont basés sur des avoirs que les compagnies d’assurance possèdent depuis très longtemps, et qui datent plus précisément d’une époque où les bons du Trésor (qui forment, rappelons-le, plus de 80% des fonds investis en assurance-vie) rapportaient beaucoup plus. Concrètement, si vous prenez une assurance-vie aujourd’hui, vous ne bénéficierez pas de produits financiers acquis au même moment par votre assureur, mais plutôt de bons qu’il a en stock depuis des années et qui lui rapportent bien plus que les 2 et quelques pourcent qu’il vous propose. Une bonne opération pour vous actuellement, mais aussi et surtout une excellente opération pour lui car, avec la baisse des taux de ces dernières années, sa marge a considérablement augmenté.
Sauf que votre assureur est obligé de renouveler régulièrement son stock de produits financiers aux taux du marché. Ce qui signifie que, depuis quelques temps, sa rentabilité globale est en train de s’effondrer. Petite illustration. Vous confiez 1000 euros à votre assureur qui, de son côté, va vous créditer de l’équivalent en produits financiers qu’il a en stock. Imaginons encore qu’il ait lui-même acquis ces produits financiers à l’époque où ils rapportaient 5%. En vous servant 2,3% d’intérêt, il reste largement gagnant.
Mais ces produits ont une durée de vie limitée, et peut-être que ceux que votre assureur a associé à votre contrat arrivent partiellement à expiration. On va dire 30% d’entre eux, qu’il doit alors réapprovisionner mais cette fois au taux du jour. Et là, ça ne va plus, car les taux actuels sont très bas, vraiment très bas, pour ne pas dire nuls (merci les banques centrales). Alors, oui, ça lui laisse un rendement global de 3,5% mais, en vous reversant, 2,3%, sa marge en a pris un sacré coup ! D’ailleurs, certains évoquent le chiffre de 1% comme étant le minimum de rentabilité nécessaire au fonctionnement normal des compagnies d’assurance-vie. Là, on n’est plus très loin de la cote d’alerte. Et force est de constater qu’avec le temps la situation ne pourra aller qu’en se dégradant puisque les produits « rentables » finiront peu à peu par être remplacés par des produits qui ne rapporteront plus rien aux assureurs… lesquels devront pourtant continuer à verser les intérêts promis par contrat à leur assurés !
Le Droit bafoué pour contrer une faillite inévitable
Et c’est là qu’intervient notre ministre de l’Économie et des Finances, Michel Sapin, qui propose purement et simplement d’obliger les compagnies d’assurances à NE PAS rembourser leurs assurés ni même à verser les intérêts prévus par les contrats d’assurance-vie de millions d’épargnants ! Rien que ça, juste une violation fragrante du droit des contrats privés, pour sauvegarder un système de cavalerie financière en train de se casser la figure. D’autant que, toujours d’après notre auguste ministre, les taux d’intérêt devraient remonter d’ici la fin de l’année (sa boule de cristal ne lui a cependant pas révélé de combien), avec pour conséquence, certes une légère amélioration des rendements accordés aux assureurs, mais aussi et surtout la nécessité de suivre cette évolution… en augmentant le rendement des assurances-vie. En effet, si les taux devaient augmenter (rien n’est moins sûr, mais on ne sait jamais), tous les produits d’épargne classique répercuteraient cette hausse pour attirer de nouveaux investissements. En ne changeant pas leur taux, les compagnies d’assurance-vie risqueraient de perdre leur leadership au profit d’autres organismes de placement. Voire de carrément perdre la majeure partie de leurs clients.
Le problème c’est qu’il n’y a en réalité aucune solution. En voulant protéger les assureurs, la loi Sapin II révèle surtout de manière criante leur vulnérabilité, avec comme conséquence probable d’inciter les épargnants à confier leurs fonds à des structures plus robustes. Quant aux taux d’intérêt, s’ils persistent à rester proches de zéro, c’est la faillite qui guette les assureurs. Mais s’ils augmentent… c’est la faillite aussi ! Car, en cas de remontée des taux (et donc de baisse de la rentabilité attendue), la valeur des contrats d’assurance-vie risque bien de s’effondrer, amenant les assureurs à vouloir s’en débarrasser au plus vite, quitte à les « titriser » à moindre coût pour attirer un maximum d’acheteurs potentiels (selon une pratique devenue hélas très courante). On s’attend alors à ce que des hedge-funds reprennent ces produits toxiques à environ 20% de leur valeur faciale, pour tenir compte de leur dévaluation. Quand on sait que l’encours total de l’assurance-vie en France dépasse les 1600 milliards d’euros, cela équivaudrait donc à une perte potentielle de 1300 milliards d’euros pour les assureurs ! Pas sûr qu’ils s’en relèvent…