En 1869 à New York, à l’instar des banquiers vénitiens, les agents de change fixent quotidiennement le prix de l’or, à savoir le nombre de dollars billets nécessaires pour acheter des dollars or. Cette simple équation inspire l’une des plus célèbres escroqueries de l’histoire américaine, perpétrée par un duo de requins de la finance de l’âge d’or, Jim Fisk, le banquier haut en couleur de l’époque et Jay Gould, un ancien employé d’épicerie de campagne devenu magna du chemin de fer.
Jay Gould et Jim Fisk venaient juste de faire parler d’eux, ils avaient joué un rôle prédominant dans une énorme bataille financière à Wall Street sur la prise de contrôle de la compagnie de chemins de fer ERI, alors l’une des plus importantes dans le pays. Ils ont corrompu des sénateurs à New York et ont soudoyé des juges. A un moment, ils se sont même retrouvés en bateau sur la rivière Hudson, fuyant vers le New Jersey avec tout leurs billets.
Au printemps 1869, Gould et Fisk commencent à échafauder une arnaque encore plus audacieuse. Il s’agit de s’accaparer le marché de l’or. Diaboliquement simple, le principe consiste à profiter de la loi de l’offre et de la demande. En d’autres termes, plus ils achètent d’or, moins il y a d’offre. Par conséquent, la demande augmente en même temps que le prix se met à grimper, et lorsque le prix de l’or a suffisamment monté, Gould et Fisk vendent à leur tour et empochent au passage le pactole. Malheureusement, pour réussir ce genre de coup dans la salle de l’or, il fallait d’abord prendre le contrôle de la politique du gouvernement. Le gouvernement fédéral détenait quelque chose comme cent fois l’or en circulation dans l’économie privée. Occasionnellement, le gouvernement vend ses surplus d’or faisant ainsi baisser le prix du métal jaune. Gould et Fisk doivent donc s’efforcer de maintenir l’or du gouvernement hors du marché, mais Ulysse Grant vient d’arriver au pouvoir et personne ne sait encore quelle va être sa politique fiscale.
Ils ont donc décidé d’essayer de prendre le contrôle de la politique des finances du Président Grant. Ils l’ont d’abord accompagné lors d’un voyage à Boston à bord d’un paquebot dont l’un d’entre eux était propriétaire. Ils se sont assis avec lui et ils lui ont parlé du billet vert, de l’or. Mais Grant les déçoit, il n’a aucune intention de geler le marché de l’or. Sans se décourager, Gould et Fisk décident de poursuivre l’escroquerie. Ils placent une taupe au Ministère des Finances, offrent un pot-de-vin au beau-frère du Président et mentent ouvertement en déclarant aux journalistes de telle sorte que Wall Street entende que Grant ne vendra pas d’or. Leur plan fonctionne à merveille : tout au long de l’été 1869, le prix de l’or grimpe régulièrement pour atteindre à la fin du mois de septembre la valeur de 162 dollars en billets verts pour 100 dollars or. Mais Grant déjoue le complot lorsqu’il prend connaissance d’une lettre écrite par son beau-frère en faveur de Gould. Ce dernier est parti voir ses courtiers en coulisse pour leur demander de commencer à vendre l’or tranquillement, au moment où une véritable frénésie prend possession du marché.
C’est précisément à ce moment que Grant donne l’ordre au ministère des Finances de se défaire de 4 millions de dollars en or pour en faire baisser le prix. Lorsqu’on a appris la nouvelle, ça a été la panique. Immédiatement, tout le monde s’est mis à revendre désespérément son or et les prix ont chuté.
Le 24 septembre 1869 est surnommé vendredi noir. En dégringolant, le prix de l’or a balayé des milliers de spéculateurs. Gould et Fisk mourront aussi riches qu’ils seront maudits pour la crise dont ils sont à l’origine et pour les vies qu’ils ont détruites. A l’image de la catastrophe du Central America, ce vendredi noir rappelle au monde que les économies qui s’appuient sur l’or demeurent toujours à sa merci. On s’est demandé comment contenir la masse monétaire en circulation puisqu’elle dépendait elle-même de la force incontrôlable de l’or.
Le monde cependant n’est pas prêt d’apprendre à se passer de l’or d’autant plus que les grandes ruées vers l’or qui ont eu lieu en Amérique, en Australie et en Afrique du Sud continuent d’alimenter le flot de métal précieux qui coule jusqu’aux autels de la monnaie. Pour la première fois de l’histoire, l’or était la pièce qui circulait entre les millions de poches des gens à travers le monde. On ne le trouvait pas dans a salle des coffres des banques centrales ni même à l’époque vraiment utilisé en bijouterie. C’était au contraire un moyen de paiement courant pour les achats quotidiens ou encore la pièce-cadeau qu’on offrait au petit-fils pour Noël comme par exemple un souverain en or.