« Si vous avez des dollars, des euros ou de l’or, allez dans les banques pour les échanger contre des livres turques. C’est une lutte nationale ». La déclaration du président turc Erdogan, vendredi, n’est pas passée inaperçue. Le pays traverse actuellement une crise majeure. Le métal précieux peut-il être une solution quand la devise nationale perd sa valeur ?
Une crise financière sur fond de bras de fer
Depuis le début de l’année, la livre turque a fondu. Elle a perdu près de 40 % de sa valeur face au dollar et à l’euro. Et en fin de semaine dernière, elle a encore dégringolé lorsque le président américain a annoncé le doublement des taxes de douanes sur l’acier et l’aluminium. Nouvelle escalade dans le bras de fer économique qui oppose Trump et le gouvernement turc… et une réponse du président Erdogan qui ne s’est pas fait attendre. Le même jour, il demandait à ses concitoyens de changer leurs devises étrangères pour soutenir la livre turque. Et pas uniquement leurs devises étrangères : leur or également. « Si vous avez des dollars, des euros ou de l’or sous votre oreiller, allez dans les banques pour les échanger contre des livres turques », a-t-il demandé, évoquant une « lutte nationale ».
Après les craintes de guerre économique entre les Etats-Unis et la Chine, entre les Etats-Unis et l’Iran, il semble donc bien que ce soit la Turquie la première frappée. Est-ce qu’il faut y voir un nouveau signal d’alerte sur l’économie mondiale… ou bien l’un des premiers rouages qui se grippe ? J’en parlais il y a quelques jours justement : les scénarios « dans le vert » ne peuvent pas durer. Un jour ou l’autre, la machine s’enraye !
Et c’est justement la situation vécue actuellement par la Turquie. Les positions économiques d’Ankara inquiètent les spécialistes, la livre décroche. Sur fond de crise diplomatique entre la Turquie et les Etats-Unis, le président Trump assène un nouveau coup sur l’acier et l’aluminium… et la livre turque dégringole encore plus. Déjà mise à mal depuis quelques années, l’économie turque ne semble plus maîtriser son inflation.
Dans la série des scénarios catastrophe, on n’est donc pas loin d’une nouvelle étape. Les équilibres commerciaux sont une nouvelle fois bouleversés. Et les spectres des crises majeures vécues par Chypre ou par la Grèce sont bien visibles.
L’or turc peut-il rétablir un certain équilibre ?
Pour les Chypriotes et les Grecs, les récentes crises majeures ont eu un impact immédiat et très visible sur le quotidien des particuliers : inflation majeure, perte de pouvoir d’achat, bankrun et manque de cash. En appelant les Turcs à changer immédiatement leurs devises fortes ainsi que leur or, Erdogan semble vouloir inverser la tendance tant que c’est encore possible. Parmi les mesures annoncées aujourd’hui, Ankara a également évoqué que la banque centrale turque avait « révisé les taux de réserves obligatoires pour les banque, dans le but d’éviter tout problème de liquidités ». « Environ 10 milliards de livres, 6 milliards de dollars et l’équivalent de 3 milliards en or de liquidités seraient fournis au système financier », annonce ainsi le Monde dans un article ce lundi.
Une autre information est peut-être passée inaperçue il y a quelques semaines… mais elle prend tout son sens en ce moment. En juin, la Turquie a évacué son or jusque là laissé dans les coffres-forts de la Réserve fédérale américaine. Au total, 28,6 tonnes du métal précieux ont quitté le sol américain pour être stockées à Londres et en Suisse, même si les lieux exacts ainsi que le nombre de tonnes n’ont pas été confirmés officiellement.
« Ces dernières années, la banque centrale turque a été l’une des plus grosses acheteuses d’or », rappelle aussi l’article des Echos.fr en juin. Avec un double objectif : d’abord diversifier les réserves de change d’Ankara, mais aussi s’affranchir du dollar. Selon les chiffres du World Gold Council, les stocks du pays atteignaient au début de l’été 236 tonnes, soit près de 10% de ses réserves de change. Et 358 tonnes d’or des banques commerciales turques sont aussi conservées par la banque centrale…
« De l’or sous l’oreiller » : en Turquie, ce n’est pas un vain mot
Si Erdogan a appelé les Turcs à échanger l’or caché sous les oreillers, c’est aussi parce que ces réserves personnelles sont une réalité dans le pays. Selon le World Gold Council, le pays est même le quatrième plus important consommateur d’or au monde, avec une moyenne de 81 tonnes d’or achetées par les ménages. En 2015, le Conseil mondial de l’or estimait à 3500 tonnes le volume conservé en sécurité par les Turcs. Et c’est certainement là le fameux « oreiller » réclamé en fin de semaine dernière par le président Erdogan.
L’or est déjà un rouage important du système financier turc. Les particuliers l’utilisent pour protéger leur épargne, et ils sont d’ailleurs incités à le faire (et on en parle d’ailleurs dans ce dossier). « Des générations d’épargnants turcs se sont tournés vers l’or pour se protéger contre les ravages de l’inflation et pour se prémunir face à la faiblesse de leur monnaie », estiment ainsi les analystes du World Gold Council. Les banques commerciales aussi utilisent l’or pour soutenir l’économie du pays : depuis 2012, elles sont déjà mises à contribution par le gouvernement. Le pays a aussi mis l’accent sur sa propre extraction aurifère, alors que les réserves d’or souterraines sont estimées à 840 tonnes.
Le cas de la Turquie le montre bien. Oui, le métal précieux peut être une solution quand la devise nationale perd de sa valeur. Et ce n’est d’ailleurs pas anodin si certaines banques centrales rapatrient leur or aux premiers signes de crise économique ou géopolitique. C’est une solution évidente pour les particuliers aussi. Encore faut-il éviter une situation extrême où le gouvernement décide de faire main basse sur les réserves en or de ses citoyens !