Journal de Genève du 25 octobre 1929 : La Bourse des valeurs de New York a vécu jeudi une journée très mouvementée à la suite de ventes qui prirent le sens d’une panique. Des cours diminuèrent en peu de temps de 50 dollars. L’énervement s’accroissait de minute en minute et fut encore accru par l’insuffisance des installations techniques pour faire face au débordement des transactions. Lorsque l’agitation eut atteint son point culminant, les principaux banquiers se réunirent pour délibérer et leurs déclarations rassurantes amenèrent une détente au début de l’après-midi. Les transactions ont porté sur 12 881 000 actions, chiffre encore jamais atteint. Jusqu’à présent le record des transactions était d’environ six millions.
JdG du 26 octobre 1929 : Le « lessivage » a continué jeudi à New York. Le télégramme de l’United Press paru dans notre Dernière heure financière, parle délibérément d’une panique. On signale que des paquets de 5000 et même de 20 000 titres changèrent de mains par moments. On dit aussi que 150 000 actions de City Service Co. furent vendues d’un seul coup de crayon, à 55%, ce qui, parait-il, représente une perte de plusieurs millions de dollars. C’est bien l’affolement, car toutes les valeurs sont atteintes. On put heureusement arrêter la chute verticale par des déclarations rassurantes émanées des hautes autorités financières de Washington elles-mêmes, déclarant qu’il s’agit avant tout d’une réaction d’ordre technique contre les excès de la spéculation et que la situation générale des affaires demeure normale. La clôture, somme toute, se tient assez peu au-dessous du cours de la veille. On ose espérer qu’on s’en tiendra là; l’ébranlement des positions est en effet tel, qu’à chaque recul, des réalisations s’imposent, des exécutions ont lieu. (…) Les premières nouvelles de la débâcle – celles de mercredi – n’ont, chose curieuse, pas influencé les marchés européens.
JdG du 27 octobre 1929 : Ce qui frappe dans la crise boursière actuelle, c’est sa généralité, son caractère international, l’atmosphère de pessimisme dans laquelle elle se dévoile. C’est qu’elle est l’aboutissement logique de cet autre phénomène universel que fut la mentalité de haute spéculation que a caractérisé l’après-guerre. (…) C’est toute l’histoire, depuis de longs mois, de tous les marchés européens, les uns marquant plus d’avance, les autres plus de gravité. New York est longtemps resté à part, poursuivant, au milieu d’indéniables conditions de prospérité, une ascension invraisemblable. Et c’est sans doute le trouble amené par l’influence du grand marché américain sur les affaires d’Europe, dans les relations de crédit surtout, qui a hâté la décomposition de ceux-ci et leur déliquescence actuelle. (…) C’est New York qui a amené dans le monde financier l’enchérissement de l’argent, l’étroitesse de crédit, la paralysie des marchés de valeurs. Car, petit à petit, il a fallu diminuer les nombreuses positions spéculations trop chargées. (…) Le cycle de la dépression boursière est bien mondial. Il se ferme en ce moment à New York; on a des raisons de croire qu’il se ferme aussi sur le continent, laissant, en même temps qu’un avertissement salutaire, l’espoir d’une convalescence prochaine. Voici plusieurs jours que le phénomène de la baisse du dollar sur les marchés s’amplifie. (…) Si l’évolution des changes s’accentue, on pourra être amené à revoir des expéditions d’or d’Amérique. Quand un pays est sous le régime de l’étalon-or et que son change fléchit, il arrive fatalement un moment où les exportations deviennent inévitables, parce que, dans les règlements extérieurs, il est alors plus avantageux de payer avec de l’or que de convertir des devises nationales en devises étrangères. (…) Il existe du reste, comme on sait à New York, de considérables avoirs appartenant à des nations étrangères et qui peuvent être retirés; on connaît d’autre part l’appétit non encore rassasié de plusieurs d’entre elles. Ainsi 3 millions de dollars ont été vendus, le 22, à la Banque d’émission à Prague et 10 à la Banque de Pologne. Comment l’Amérique va-t-elle réagir ? Tolérer cette redistribution du métal précieux ou prendre des dispositions pour la réprimer ? Il sera intéressant de suivre à cet égard la politique des Etats-Unis, détenteurs du plus formidable stock d’or qu’on connaisse. Cet or, les banques l’ont utilisé pour créer du crédit; il a servi surtout à accroitre les dépôts des banques affiliées dans les banques de réserve. On calcule que chaque dollar de ces réserves supporte en moyenne une dizaine de dollars de dépôts en banque. Il est vrai que, depuis quelques années, la politique de crédit des Banques de réserve fédérale n’est plus autant basée sur les mouvements d’or. La couverture métallique se tient aux environs de 70%, alors que le minimum requis par la loi n’est que de 40%. Il y a un excédent d’or, « l’or libre », qui est considéré comme une réserve ne devant servir de base à du crédit qu’en cas de violente crise monétaire.
Le point si important de la politique d’escompte de nos Banques d’émission européennes qu’est le rapport de la couverture or ne joue donc presque pas de rôle auprès des Federal Reserve Banks, puis-qu’elles en regorgent au point d’en stériliser. Ce qui les décide à changer le taux de l’escompte, par exemple, ce n’est pas la défense de leurs réserves, mais l’état général des affaires et la situation financière internationale. Malgré cela, laisseront-ils partir leur or sans prendre des mesures pour en réprimer l’exportation ? Et lesquelles ? Ou bien le Federal Reserve Board, qui semble chercher à éviter maintenant l’inflation pour des raisons d’ordre social, laissera-t-il peut-être se produire tout simplement le phénomène?