Inévitable pour certains, impossible à concevoir pour d’autres, la prochaine crise financière majeure pourrait coûter jusqu’à 40 fois ce que la crise des subprimes a fait perdre à l’économie mondiale. Et quand on sait que la crise de 2008 a été la plus importante jamais connue dans l’histoire des marchés financiers, on imagine sans peine les efforts déployés par tous les acteurs d’aujourd’hui pour éviter une rechute à des niveaux, cette-fois, bien plus catastrophiques.
La situation actuelle est pour le moins paradoxale. Jamais les taux d’intérêt n’avaient été aussi bas, sachant qu’ils sont même désormais négatifs pour environ un quart de l’économie mondiale. Conséquence directe, jamais la dette n’avait été aussi considérable, impactant aussi bien les marchés que les entreprises, les individus ou encore les États. Et pourtant, jamais le monde n’a paru à ce point aveugle face aux signaux d’alerte qui ne cessent de clignoter dans tous les sens, les banquiers centraux et les gouvernements faisant comme si tout allait bien, allant même jusqu’à encourager les acteurs économiques à amplifier le processus de délitement des modèles macro-économiques. Dans leur ouvrage intitulé La finance de l’ombre a pris le contrôle, Dominique Morisod et Myret Zaki l’ont bien résumé en disant qu’avec la politique monétaire actuelle résolument orientée en territoire de taux négatifs « tout le paradigme économique s’inverse : les épargnants sont sanctionnés pour le fait d’économiser, les débiteurs sont récompensés pour le fait de s’endetter. »
La FED ne peut pas remonter ses taux sans créer un krach
Dans ces conditions, il est étrange d’attendre encore de la FED qu’elle relève un jour ses taux directeurs. Car il est évident qu’elle ne pourra jamais le faire sans créer les conditions d’un krach monumental. Certes, la FED a déjà réduit ses taux plusieurs fois au cours des dernières décennies, mais la situation actuelle est inédite à plus d’un titre. D’abord, jamais on n’était descendu aussi bas que depuis 6 ou 7 ans, avec des taux d’intérêt à zéro, mais surtout, si on revient par exemple au milieu des années 1990, il n’y avait pas cet excès d’endettement dans le système qui pouvait tout faire exploser à la moindre remontée du coût de l’argent. Ensuite, les banques elles-mêmes (et dans une moindre mesure, les marchés boursiers) n’avaient pas subi de gros dommages depuis, grosso modo, la Seconde Guerre mondiale, voire depuis la crise de 1929 pour les institutions les plus résilientes. Enfin, la confiance dans les marchés était intacte.
Aujourd’hui, tout cela est révolu. Au lieu de tirer les leçons des dernières crises, notamment de la plus grave, celle de 2008, tout le monde semble avoir pris le parti de reproduire le même schéma ayant conduit à la catastrophe… mais en faisant bien pire encore. Ainsi, comme l’écrit Dominique Morisod « la dette globale des gouvernements, des entreprises, des ménages et du secteur financier a augmenté de près d’un tiers depuis la crise des subprimes […] pour atteindre 200 000 milliards fin 2014, soit 286% du PIB mondial« . Cet emballement de l’endettement est justement dû au fait qu’il a fallu « sauver » un système qui menaçait de s’effondrer sur lui-même à la suite des nombreuses crises successives survenues depuis la fin des années 80. Enfin, question confiance, les banques sont désormais massivement rejetées par une majorité d’acteurs économiques qui les voient, au mieux comme des parasites qui gangrènent le système économique, au pire comme les responsables directes des difficultés croissantes que traverse le monde.
La Deutsche Bank n’est qu’un exemple parmi d’autres
Les récentes mésaventures de la Deutsche Bank, première banque européenne d’investissement, ne sont que le dernier épisode d’une lente descentes aux enfers de la mauvaise réputation d’un marché financier qui n’a pas su abandonner ses mauvaises habitudes. Ainsi, que dire d’une situation qui porte désormais l’endettement direct des banques (actions, comptes bancaires, dettes publiques et privées) à plus de 250 000 milliards de dollars, alors même que le PIB mondial atteint péniblement les 80 000 milliards de dollars ? Mais surtout, que penser de ces banques qui, tout en cumulant 21 000 d’exposition nette au niveau mondial, ont réussi à hypothéquer leur avenir (et surtout celui de l’économie de leur pays respectif) sur plus de 630 000 milliards de produits dérivés ?
Tous ces montants sont délirants, hors de proportion, et ils constituent une véritable montagne de risques qui peut devenir un volcan à tout moment. Un volcan dont l’éruption pourrait justement être déclenchée par une remontée des taux d’intérêt, ce qui obligerait brusquement les débiteurs chroniques (les États par exemple) à payer beaucoup plus d’intérêt sur de l’argent qu’il avait été si facile d’emprunter en grosses quantités peu de temps auparavant. N’oublions pas en effet que la dette des États est régulièrement couverte à échéance par la création de nouvelles dettes, qui devront à leur tour être compensées par de futures dettes, et ainsi de suite.
Trop exposés pour être sauvés
Bref, aujourd’hui, le moindre frémissement à la hausse des taux d’intérêt poussera beaucoup de gens à se débarrasser de leurs titres les plus risqués, lesquels n’étaient intéressants que dans le cadre d’une politique monétaire à taux nul voire négatif (on prend plus facilement des risques lorsque l’argent ne coûte rien, ou mieux, lorsqu’on est rémunéré pour emprunter). Sauf que le taux de liquidité des marchés, c’est à dire la capacité pour un investisseur à vendre rapidement ses titres, s’est considérablement détérioré depuis 10 ans (-80% environ !). De fait, en cas de course à la revente, seul 1 investisseur sur 5 parviendra peut-être à tirer son épingle du jeu, et probablement pas les plus gros ni les plus exposés. Ainsi, ce ne sont plus 15 000 milliards de dollars que l’économie risque de perdre, comme en 2008, mais entre 500 et 600 000 milliards, soit 40 fois plus !
Autant dire que, dans ce cas, il n’y aura plus beaucoup de questions à se poser quant à la manière de sauver ou non les marchés financiers… tout simplement parce qu’il n’y aura sans doute plus de marchés du tout. D’aucuns appellent ce cataclysme de leurs vœux, en disant qu’il n’y a guère qu’une « épuration » de cette sorte qui puisse désormais réparer le système, en remettant tout à plat, et en revenant par exemple à des mécanismes plus cohérents, plus concrets, basés notamment sur un retour à une politique monétaire basée sur des contreparties physiques comme l’or et les métaux précieux. Mais d’ici là, il semble surtout urgent de prendre un certain nombre de précautions (débancariser ce qui peut l’être, investir dans la pierre ou le foncier, placer une partie de son patrimoine en pièces d’or et d’argent) afin de se protéger des conséquences d’une future conflagration financière mondiale.