Indépendamment de leurs politiques monétaires plus ou moins accommodantes suivant les pays, les banques centrales se sont également constitué de formidables stocks d’or depuis de nombreuses années. De l’or qui, par un heureux hasard, est très largement sous-coté au regard de ce que devraient être les prix du marché en réalité. Un heureux hasard, certes, mais aussi pas mal de malversations et de manipulations de cours comme celles dont s’est rendue coupable la Deutsche bank, par exemple, avant qu’on ne dévoile récemment ses manœuvres.
Un effet d’aubaine habilement entretenu
Il n’est pas question ici de préjuger de la responsabilité ou non des banques centrales, ni de se demander si leur passivité à l’égard d’activités douteuses qu’elles ne pouvaient méconnaître était volontaire ou juste révélatrice de leur impuissance à réguler le marché. Ce qu’on ne peut ignorer en revanche, c’est que le maintien des cours de l’or à des niveaux artificiellement très bas n’a pu que les avantager dans leur projet d’accumuler des stocks considérables de métaux précieux.
Aujourd’hui, après une brève flambée des cours en juin 2016, l’or est de nouveau aux alentours de 1200 dollars l’once, soit juste assez pour que la plupart des exploitations minières restent à peu près rentables (et continuent à produire), mais pas trop pour éviter un emballement du marché comme ce fut le cas en novembre 2011. Un emballement contre lequel il avait fallu mettre en place quelques mesures drastiques avec l’aide notamment des pays asiatiques toujours soucieux pour des raisons diverses (mais généralement économiquement stratégiques) de satisfaire aux demandes occidentales.
Ainsi, tandis que le métal jaune battait des records, l’Inde en sa qualité de premier acheteur mondial (plus ou moins à égalité avec la Chine suivant les saisons) décida soudain de durcir ses règles d’importation en édictant une vingtaine de restrictions légales faisant passer la consommation mensuelle indienne de 130 tonnes d’or à moins de 7 tonnes six mois plus tard. Une telle baisse de la demande ne pouvait évidemment que ramener les cours de l’or à des niveaux plus raisonnables.
L’an dernier, le schéma s’est répété : l’or a commencé à grimper au point de prendre plus de 20% en six mois et c’est alors que l’Inde, toujours elle, a décidé de bannir les principales coupures monétaires du pays tout en appliquant de fortes restrictions à l’importation sur l’or. Une fois encore, la demande se tarissant, l’or est retombé à des cours plus facilement contrôlables. Peut-on encore y voir un effet du hasard ?
Contrôler les cours de l’or pour contrôler… tout le reste
Mais pourquoi craindre que l’or remonte ? Tout simplement parce que le renchérissement de l’or risquerait d’augmenter la puissance financière de certains pays ayant décidé d’être moins dépendants, au moins en partie, du système monétaire international basé sur le dollar. On pense bien évidemment à la Russie, dont les réserves d’or ont été boostées depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Mais il y a aussi la Chine qui pourrait se révéler un peu plus rétive (surtout dans un contexte de probable guerre commerciale avec les USA), ainsi que tout un tas d’autres acteurs mineurs sur la place internationale qui pourraient acquérir brusquement une plus grande autonomie financière et, de ce fait, se montrer plus difficiles à contrôler.
Du reste, selon certains experts, en maintenant durablement les cours de l’or à des niveaux peu attrayants (et surtout en multipliant les garde-fous susceptibles d’enrayer tout frémissement à la hausse), on limite non seulement les élans à la vente des détenteurs de métaux précieux, qui préféreront attendre en espérant vainement des jours meilleurs, mais on contient également l’appétit d’éventuels acheteurs extérieurs alléchés par des perspectives de remontée des prix.
Enfin, l’or est par nature une ressource rare et, si les cours devaient remonter en dépit des efforts pour tarir la demande, le seul moyen de les faire redescendre serait alors d’augmenter les quantités disponibles sur le marché. Inutile de compter sur un accroissement de la production aurifère, les délais sont trop longs entre la mise en route de nouveaux gisements d’extraction et l’offre effective de nouveau métal. Il ne resterait plus aux banques centrales qu’à se délester d’une partie de leur or pour tenter de faire baisser les prix. Et ça, c’est tout simplement hors de question.
Une stratégie des cours bas qui est en passe d’échouer
Or, sans jeu de mots, la stratégie des cours maintenus perpétuellement bas est justement en train de se prendre les pieds dans le tapis, car si, en effet, elle est de nature à dissuader tous les spéculateurs à court terme, elle n’en attire pas moins tous ceux qui savent que l’emprise des banques centrales occidentales ne pourra durer éternellement et que ce n’est qu’une question de temps pour que les cours retrouvent un niveau cohérent avec la valeur intrinsèque de l’or. Un jour, le sous-continent indien aura atteint un niveau de croissance et de richesse suffisant pour s’affranchir de la tutelle occidentale. Idem pour la Chine dont la place de premier marché mondial pourrait bien être rapidement complétée par celle de première place industrielle et, pourquoi pas, de première place financière. Enfin, toujours en raison des prix bas, tout le monde achète de l’or désormais, non seulement nos banques centrales, mais également tous ceux qu’elles préféreraient continuer à savoir dépendants de leur bon vouloir.
L’erreur a été de croire que seuls les spéculateurs pouvaient être acheteurs, car aujourd’hui l’essentiel de ceux qui acquièrent de l’or le font pour d’autres raisons. Protection des capitaux, anticipation d’une prochaine crise des devises, retour en grâce de l’or comme monnaie complémentaire au sein de certains pays, voire dans le cadre de relations interétatiques, autant de motivations présentes ou à venir pour ceux qui n’ont que faire de l’aspect rentable de l’or d’investissement mais qui se frottent les mains à l’idée de pouvoir en acheter à bas prix avant que les cours ne remontent inexorablement.
C’est d’ailleurs ce que prévoient déjà un certain nombre de fonds d’investissements du monde entier et même certains milliardaires comme Stanley Druckenmiller par exemple, ou encore Eric Sprott, qui ont subitement décidé de racheter toutes leurs positions en or et en argent (après les avoir vendues lors de l’élection de Donald Trump) en prévision selon eux d’une forte remontée du cours des métaux précieux durant le second semestre 2017. Et on peut croire qu’ils ont de solides informations pour envisager ce genre de choses au point d’y parier quelques millions de dollars.