Dans le cadre de la Rencontre Annuelle AuCOFFRE 2022, diffusée sur la chaine Youtube AuCOFFRE.com du 28 novembre au 3 décembre prochain et dont le thème est « Les guerres de demain », Thomas Flichy de La Neuville, docteur en Droit, agrégé d’Histoire, titulaire de la chaire de géopolitique de Rennes School of Business et professeur à l’Ecole Navale, évoque l’importance des mers dans la géopolitique mondiale et les guerres navales à venir. Morceaux choisis.
Pourquoi les accès à la mer sont-ils depuis toujours si disputés ?
Thomas Flichy de La Neuville : « Les Etats ont jusqu’à présent eu besoin de se projeter sur les mers. Ainsi toute la puissance de l’Angleterre, mais aussi de la Hollande, était une puissance navale. A l’époque il s’agissait d’assurer la liberté des mers pour leur permettre d’assurer des échanges maritimes de longue portée. Face à eux, des empires n’ont pas joué la mer, c’est le cas de la Russie qui attendra la fin du XVIIIe siècle pour découvrir ce qu’est une marine de guerre. C’est à ce moment-là qu’une fenêtre est ouverte sur la mer à Saint-Pétersbourg et plus tard une autre à Odessa. La Chine, très longtemps ne s’est pas préoccupée de la mer, elle est obsédée par les « barbares » qui viennent du Nord. Pourtant la Chine construit des bateaux depuis le très longtemps, certains considèrent que les Chinois ont découvert l’Amérique avant Christophe Colomb. Quant à l’Iran, le pays est bloqué par la Chine et la Russie dans son développement maritime. Donc on voit bien que cette alliance « Chine-Iran-Russie » a un déficit sur ce point. »
Dans le récent conflit en Ukraine, on a bien vu que la mer Noire était un objectif important, de la Crimée jusqu’à Odessa ?
T.F. : « Il faut se souvenir que les occidentaux ont depuis longtemps joué l’Ukraine contre la Russie, pour affaiblir cet empire. C’est le cas de Napoléon qui va jusqu’à vouloir créer un Etat cosaque en 1812, le Napoléonide en Ukraine (projet qui échoue à la bataille de la Bérézina), c’est le cas des Allemands dans les années 30 qui veulent instrumentaliser l’Ukraine contre la Russie et c’est le cas des Etats-Unis contemporains. Pour l’accès à la mer, il est important pour les occidentaux. Au XIXème siècle, il faut maintenir absolument l’accès à la mer Noire pour que le grenier à blé de l’Ukraine reste ouvert aux flottes françaises et britanniques. Pour Odessa, l’histoire de cette ville créée par les Russes au XVIIIe siècle est liée à la démographie du moment. Il n’y avait pas assez de Russes pour peupler cette ville alors ce sont des immigrés venus d’Allemagne, de Pologne, de Roumanie mais aussi des Juifs qui ont « fait » la ville. Résultat, Odessa est un véritable poumon libéral de cette partie du monde, même au temps de l’Union Soviétique. »
Dans les prochaines années, quelles seront les mers qui seront disputées ?
T.F. : « On l’a vu récemment, il y a déjà la méditerranée orientale où les Turcs ont commencé à prendre position. Dans ce cas, c’est l’énergie qui est en jeu. Il y a tout d’abord d’importantes réserves gazières dans cette zone mais c’est aussi la possibilité de construire un gazoduc sous-marin par une alliance Israël, Grèce, Italie pour transporter de l’énergie. Les Turcs n’en veulent pas. Il y a aussi l’Arctique. Avec le réchauffement climatique, la banquise recule et donc de nouvelles routes maritimes s’ouvrent. Elles vont faire gagner de nombreux miles aux cargos et autres gaziers ou pétroliers. En ce moment, il y a une concurrence entre les brise-glace russes et chinois pour détenir les nouvelles routes vers l’Europe ou le Japon. Et puis enfin, il y a le détroit de Taïwan où les tensions sont permanentes en ce moment avec des intrusions de la marine et de l’aviation chinoises dans les parages de l’île. Il faut toujours avoir en tête que Taïwan est un enjeu important dans un monde de plus en plus technologique. C’est ici que 50% des semi-conducteurs de la planète sont produits, puces que l’on retrouve partout dans notre monde numérique. »