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Pour Stöferle et Valek, la situation est claire : une épreuve de force géopolitique se prépare entre l’Occident, c’est-à-dire l’establishment du G7 (mené par les États-Unis) et ses alliés, et les économies émergentes, c’est-à-dire les jeunes pousses affamées des BRICS (menées par la Chine et la Russie) et leurs partisans. Penchons-nous sur la dimension politique de ce showdown intercontinental.

Qu’est-ce que les BRICS, aujourd’hui : pays… groupe… nations… alliance ?

Que voilà une excellente question, tant les BRICS sont une bête difficile à cerner.

Cet acronyme est formé par les initiales des pays suivants : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.

C’est quoi le groupe BRICS ?

Comme le racontent Ronald-Peter Stöferle et Mark J. Valek (S&V), « la désignation de ce groupe a été proposée pour la première fois en 2001 par l’économiste Jim O’Neill de chez Goldman Sachs, qui soulignait alors l’importance économique de ces cinq pays pour la décennie à venir. Aujourd’hui encore, la rumeur persiste que l’Afrique du Sud n’a été ajoutée que pour rendre l’acronyme plus facile à prononcer. »

Voilà pour la petite histoire marketo-économique.

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Au plan politique, la constitution officielle du groupe des BRICS n’est intervenue qu’en 2006, lorsque ces pays ont décidé de régulièrement organiser des sommets. Le premier d’entre eux s’est tenu en Russie en 2009.

« Au total, les pays des BRICS représentent aujourd’hui près de 42% de la population mondiale et environ 25% de la production économique mondiale, avec une part importante de la Chine sur ces deux plans, l’Empire du Milieu contribuant à lui seul pour 70% de la production économique des BRICS », relèvent S&V.

Au cours des 12 derniers mois, les BRICS n’ont cessé de s’affirmer par des annonces fracassantes sur la scène internationale. Nombre d’économies émergentes ont tiré les leçons du gel par l’Occident des réserves de devises russes intervenu au printemps 2022.

Cependant, la conjoncture géopolitique ne suffit pas pour expliquer ce retournement de tendance.

Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud : quel PIB en 2022 dans l’économie mondiale ?

Au plan structurel, « l’assurance politique croissante des pays BRICS est une conséquence logique de leur importance économique grandissante », notent S&V.

Part du PIB mondial (en parités de pouvoir d’achat – PPA), G7 et BRICS (1992 – 2027,estimation à 2023)

Premier partenaire commercial (Etats-Unis ou Chine) en 2000 et en 2018

À cela s’ajoute le poids relatif croissant des BRICS au regard de la démographie mondiale.

Vers l’élargissement des BRICS ?

La masse des économies émergentes (à défaut de pouvoir encore parler de bloc) est en constante augmentation.

Le sommet sud-africain de Johannesburg en Afrique du Sud : vers une nouvelle carte des BRICS ?

Le 15ème sommet des BRICS s’est tenu en Afrique du Sud du 22 au 24 août, et s’est révélé l’un des plus passionnants à ce jour.

Quels pays veulent rejoindre les BRICS ?

Et pour cause, on a eu confirmation que les BRICS vont s’agrandir. Voici quel était le pronostic de S&V en mai : « l’Arabie saoudite, la Turquie et l’Égypte prévoient de rejoindre officiellement les BRICS. Selon la Russie, l’Argentine et l’Iran ont également entamé le processus d’adhésion. D’autres pays ont déjà participé aux réunions des BRICS en tant qu’invités, notamment le Kazakhstan, l’Indonésie, le Nigeria, le Sénégal, la Thaïlande et les Émirats arabes unis. Ce qui se dessine ici, c’est une nouvelle façon d’organiser et de gouverner le monde, sans l’influence de l’Occident. »

In fine, ce sont 6 nouveaux pays qui adhéreront aux BRICS à compter du 1er janvier 2024 : l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Ethiopie et l’Iran. Plus de 40 pays ont exprimé leur intérêt à rejoindre les BRICS, et 22 pays ont formellement poser leur candidature.

Non seulement cette redistribution des cartes a lieu sans l’Occident, mais elle se déroule à l’encontre des États-Unis. Comme le relèvent S&V, « l’inclusion de l’Arabie saoudite, de la Turquie et de l’Égypte est particulièrement sensible, ces trois pays étant des alliés traditionnels des États-Unis. La Turquie est une puissance militaire importante au sein de l’OTAN. Et l’Arabie saoudite, au travers de sa coopération avec Washington, constitue la base du système des pétrodollars depuis les années 1970. […] »

On ne peut cependant pas considérer les BRICS comme un bloc monolithique. Il s’agit d’un club dans lequel toutes les parties ont un intérêt commun (la dédollarisation), mais où chacun cherche à défendre des intérêts qui lui sont propres.

Par exemple, « le Brésil et l’Argentine (candidate à l’adhésion) travaillent à leur propre union économique et envisagent même une monnaie commune, qui ne fonctionnera toutefois que comme unité de compte pour le commerce entre les deux pays. L’Inde joue également un rôle particulier étant donné qu’elle n’entretient pas de relations particulièrement bonnes avec la Chine, et qu’elle est étroitement alliée aux États-Unis », relèvent S&V.

Comment les BRICS refaçonnent-ils l’ordre mondial ?

Quel est le but des BRICS ?

S&V relèvent 3 voies d’actions principales, lesquelles jouent tous dans le sens de la dédollarisation de l’ordre monétaire :

  • Les innombrables accords bilatéraux entre États ;
  • Les organisations internationales ;
  • L’achat d’or par les banques centrales.

Les institutions des BRICS ne sont pas un simple duplicata de l’ordre issu de Bretton Woods

Voilà environ 10 ans que les BRICS ont entrepris de créer des alternatives aux institutions issues des accords de Bretton Woods.

Les 3 plus importantes sont :

  • Le BRICS Contingent Reserve Arrangement (CRA) (une sorte de FMI) ;
  • La Nouvelle Banque de développement (New Development Bank – NDB) créée en 2014 (une sorte de Banque mondiale).

De la même manière que le FMI et la Banque mondiale sont très influencés par les États-Unis, « en raison de la domination de la Chine, [le CRA et la NDB] peuvent également être considérés comme des éléments constitutifs du nouvel ordre mondial envisagé par Pékin », font remarquer S&V.

Ceci dit, il ne faut pas s’y tromper : il ne s’agit pas d’un simple duplicata de l’ordre monétaire issu de Bretton Woods.

Cela se ressent en particulier au niveau du Fonds de réserve des BRICS (BRICS Reserves Fund), un mécanisme financier créé en 2015 pour fournir une réserve collective de devises étrangères dans laquelle les pays membres peuvent puiser en période de crise économique ou de forte volatilité.

Comme le relèvent S&V, « une analyse portant sur l’avenir du système monétaire international publiée en janvier 2023 par le Credit Suisse Research Institute souligne le rôle particulier de la Chine au sein de ce fonds : “fait intéressant, les membres sont autorisés à retirer jusqu’à deux fois leur capital versé en situation de crise, à l’exception de la Chine, qui ne peut retirer que la moitié des fonds qu’elle a versés. Autrement dit, la Chine agirait en tant que prêteur (partiel) en dernier ressort dans le cadre de ce programme. Même si le CRA est encore limité en taille par rapport au pouvoir de prêt du FMI, sa création est une étape importante vers un système plus multipolaire. ” »

Ce n’est pas tout.

Quand les non-alignés siphonnent l’offre d’or et réduisent leurs réserves de dollars

En 2022, les banques centrales se sont plus que jamais tournées vers l’alternative la plus évidente au dollar. Elles ont siphonné 1136 tonnes d’or.

Or, comme le relèvent S&V, ce sont les BRICS et les 19 autres États d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud souhaitant y adhérer « qui, depuis 2008, accumulent de plus en plus de réserves d’or et réduisent leurs réserves de dollars. »

Réserves mondiales d’or, G7 (en bleu), BRICS (en rouge) et candidats/parties intéressées à l’intégration aux BRICS (rose) (tonnes, T1/2000 – T4/2022)

Ce constat ne s’arrête pas aux BRICS, un groupe destiné à favoriser la coopération économique. Il peut être étendu à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), axée sur la sécurité régionale et la coopération économique. Comme le relèvent S&V, « le chevauchement est frappant. Les 8 pays membres à part entière de l’OCS sont la Chine, la Russie, l’Inde, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan, le Pakistan et le Tadjikistan. Sur ces 8 membres de l’OCS, 5 ont été des acheteurs d’or des banques centrales au cours des 15 dernières années : la Chine, l’Inde, la Russie, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Ces 5 banques centrales ont acheté ensemble 3343 tonnes d’or entre 2010 et 2022, et ont en outre été 5 des 6 premières banques centrales acheteuses d’or dans le monde au cours de cette période ».

Achats cumulés d’or par les banques centrales de l’Ouest (en bleu) et de l’Organisation de coopération de Shanghai (en doré) (tonnes, T2/2001 – T4/2022)

Cette tendance s’est accélérée après que les Etats-Unis et l’UE ont décidé le 26 février 2022 de geler les réserves de devises de la Banque centrale de la Fédération de Russie détenues à l’étranger en dollars, en euros, en livres, en yens, etc. (soit plus de 300 Mds$), et ont décidé de bannir la Russie du réseau de paiement SWIFT, suite à l’invasion de l’Ukraine le 24 février. Des mesures jusqu’alors réservées aux États parias comme l’Afghanistan, l’Iran ou le Venezuela.

Pour S&V, la conclusion est assez évidente.

Les non-alignés s’alignent en prévision d’un nouveau système monétaire reposant sur l’or

Les pays émergents ont pris bonne note de la militarisation de la monnaie par le bloc occidental, et tentent à présent de réduire leur dépendance vis-à-vis du dollar américain. Voici ce qu’écrivent S&V :

« Les sanctions occidentales et le gel des avoirs russes ont désormais fait prendre conscience à tous les pays non occidentaux que n’importe lequel d’entre eux pourrait devenir une cible de sanctions de la part des États-Unis et de leurs alliés. Ces pays, comme l’Arabie saoudite, sont donc motivés pour rejoindre et s’aligner sur des organisations et des initiatives alternatives telles que l’OCS et les BRICS pour des raisons de protection et de sécurité conférées par le nombre, étant donné que le fait d’être dans un ou plusieurs de ces groupes permet d’avoir une représentation plus puissante. […]

Dans ce contexte politique, l’or reste l’une des rares monnaies de réserve neutres et liquides. […] …de nombreuses banques centrales d’Asie et des marchés émergents accumulent […] de l’or pour des raisons stratégiques, c’est-à-dire pour réduire leur exposition au dollar, pour se couvrir contre le risque géopolitique toujours plus important en provenance de l’Occident, et même pour se préparer à la réémergence de l’or au cœur d’un nouveau système monétaire et commercial multipolaire qui pourrait remplacer le dollar. […]

Ces pays […] se rendent compte que le monde évolue vers un nouveau système mondial basé sur la coopération et non sur la coercition, et que l’or va sans aucun doute jouer un rôle dans ce nouveau système monétaire mondial et dans le système de règlement international, via des initiatives qui seront lancées par les mêmes organisations et initiatives (OCS/BRICS/Nouvelle route de la soie/Union économique eurasiatique) que ces pays s’empressent de rejoindre », écrivent les deux Autrichiens.

C’est toute l’architecture des relations internationales qui s’en trouve bouleversée :

« En fait, il n’est pas exagéré de dire que bon nombre des quelque 120 (!) pays non alignés – les pays du Mouvement des non-alignés (MNA) – sont en train de s’aligner explicitement. À mesure que cet alignement atteint une masse critique, il faut s’attendre à ce qu’il s’accélère et qu’il attire des pays du Sud et des pays « non occidentaux ».

Cet alignement pourrait également mettre à rude épreuve les relations entre les États membres du G20 qui, rappelons-le, regroupe 19 grandes économies industrialisées et émergentes ainsi que l’Union européenne. En commençant par le G20, si l’on retire l’UE et le G7 (Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni et États-Unis), il ne reste plus que les BRICS et 7 autres pays : l’Argentine, l’Australie, l’Indonésie, la Corée du Sud, le Mexique, l’Arabie saoudite et la Turquie.

Alors que l’Australie se rangera toujours du côté du G7, ce qui sera peut-être également le cas de la Corée du Sud, les 5 pays restants sont bien plus affiliés aux BRICS. En effet, […] l’Argentine, l’Indonésie, le Mexique, l’Arabie saoudite et la Turquie ont déjà exprimé leur intérêt à rejoindre les BRICS ».

Voilà pourquoi S&V estiment que le monde se dirige vers « l’épreuve de force finale », comme je vous le raconterai la semaine prochaine…

À lundi !

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Nicolas Perrin
Diplômé de l’IEP de Strasbourg, du Collège d’Europe et titulaire d’un Master 2 en Gestion de Patrimoine, Nicolas Perrin a débuté sa carrière en tant que conseiller en gestion de patrimoine. Auteur de l’ouvrage de référence "Investir sur le Marché de l’Or : Comprendre pour Agir", il est désormais rédacteur indépendant. Il s’intéresse au libéralisme, à l’économie et aux marchés financiers, en particulier aux métaux précieux et aux crypto-actifs, sans oublier la gestion de patrimoine. Twitter : @Nikookaburra

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