La récente chute des marchés boursiers cache une explication relativement malsaine, liée à l’endettement massif des entreprises et à leur capacité de moins en moins certaine à rembourser leurs dettes.
Depuis quelques jours, les indices boursiers américains semblent subir de plein fouet une correction comme ils en ont rarement reçu, suivi de près par les places de marché européennes, et en particulier la Bourse de Paris. Certains analystes s’attendaient depuis un moment déjà à un évènement de ce genre, tant l’année 2017 fut marquée par une insolente bonne santé des marchés financiers, en dépit de résultats factuels pas aussi extraordinaires qu’on voudrait le croire.
Il fallait bien que l’excès de hausse soit rééquilibré à un moment donné. Et ce que les éditorialistes ainsi que les gérants de portefeuilles d’actions appellent aujourd’hui pudiquement une « consolidation » s’apparente en réalité à un mini-krach boursier qui a déjà fait perdre entre 5 et 10% aux principaux indices en quelques jours, parfois même en quelques heures !
Une bonne nouvelle à l’origine du mini-krach boursier
Or, cette secousse n’a pas simplement ébranlé les certitudes des gestionnaires de fonds, leur faisant perdre au passage un peu de leur superbe. Elle a également contribué à faire apparaître des choses moins glorieuses qui sont susceptibles d’entamer durablement la confiance des petits investisseurs (et notamment des particuliers) envers la Bourse, une confiance qui avait mis tant de temps à revenir après le krach des années 2000 et la crise financière de 2008.
En effet, aussi étrange que cela paraisse, la chute du Dow Jones (à l’origine de l’effondrement des autres indices dont le CAC40) est due à une bonne nouvelle : l’augmentation des salaires aux États-Unis. On pourrait croire que, justement, cette information aurait été de nature à rassurer les investisseurs en leur apportant une preuve supplémentaire de la bonne santé de l’économie américaine. Une bonne santé qui est directement tirée des bons résultats des entreprises cotées, lesquelles (re)commencent à dégager des marges substantielles au point de pouvoir partager les fruits de la croissance avec leur salariés. Mais en réalité, c’est précisément ce qui a effrayé les investisseurs.
Comment expliquer une telle débandade sur les marchés ?
Première cause de la défection des gros investisseurs sur les principales valeurs d’entreprises : leur appétit toujours plus grand pour des rendements de plus en plus faméliques, une rentabilité médiocre jusqu’ici qu’ils doivent en outre désormais partager avec de vulgaires salariés.
Inutile de pousser des cris d’orfraie, la réalité est bien celle-là : les actionnaires n’ont que faire de la politique sociale d’une entreprise. Ce qui les intéresse, c’est la rentabilité et seulement la rentabilité, dût-elle être à court terme. Ce n’est pas pour rien qu’on voit fleurir un peu partout des vagues de licenciements massifs dans des entreprises qui dégagent pourtant des résultats largement positifs. Il faut « nourrir » les actionnaires, et tant pis s’il y a de la casse sociale, les entreprises sont là pour faire du profit, pas pour faire de l’humanitaire.
Des entreprises plus ou moins contraintes par la politique
Mais avec la récente venue au pouvoir de chefs d’État au discours de plus en plus démagogique (qui a dit populiste ?), aussi bien aux États-Unis qu’en France, il devient désormais impossible pour une entreprise d’aller à contre-courant des promesses électorales qui ont non seulement engagé les responsables politiques aujourd’hui en place, mais également les appareils productifs du pays, lesquels se retrouvent embarqués dans une marche forcée vers un nouveau progrès social.
Ainsi, aujourd’hui, les fruits de la croissance ne sauraient échapper aux salariés, ni d’une manière générale à la société civile par le biais d’actions (plus ou moins coûteuses) en faveur de l’environnement, de l’égalité des chances ou encore de l’éthique et de l’éco-responsabilité.
Mais en devenant ainsi acteurs d’un nouveau monde plus respectueux des individus comme de la planète, les industriels et les grosses entreprises privent leurs actionnaires d’une partie des dividendes qu’ils attendaient après des années de vaches maigres. Et ça, ces derniers ont du mal à l’accepter.
C’est pourquoi, tandis que les taux d’intérêt remontent en entraînant avec eux le marché obligataire, certains gros investisseurs décident parfois de revendre leurs positions sur les valeurs qu’ils soutenaient massivement jusque là pour se replacer tantôt sur d’autres entreprises moins férues de « fair trade« , tantôt sur des marchés différents comme celui des matières premières, de l’immobilier ou même des obligations.
Néanmoins, cette tendance reste minoritaire. Ou tout au moins, ce n’est pas le refus du partage des fruits de la croissance qui a le plus fait fuir les investisseurs. C’est surtout les conséquences de ce partage qui les a effrayés.
L’endettement des entreprises au cœur du krach de ce début d’année
En effet, il y a une seconde raison à la baisse brutale des marchés alors que le contexte semble plutôt bon. Aujourd’hui, si les entreprises américaines peuvent se permettre d’augmenter les salaires, c’est que le marché de l’emploi aux États-Unis se porte plutôt bien. La création d’emplois augmente depuis plusieurs années, les investissements aussi, et tout cela grâce à la manne financière déversée depuis autant de temps par les banquiers centraux.
C’est également valable en France, dans une moindre mesure toutefois, mais on n’en est pas encore arrivés au point où les entreprises se sentent suffisamment en sécurité pour augmenter les salaires. Ni même pour embaucher massivement, d’ailleurs.
Bref, avec l’argent pas cher (voire gratuit) qui a inondé l’économie depuis quelques années, la plupart des entreprises n’ont eu aucun mal à s’endetter. Beaucoup. Trop. Et aujourd’hui, alors que les taux d’intérêts remontent et que les banques centrales ont décidé de fermer progressivement la trappe à billets, il devient plus compliqué d’emprunter à tout-va. Mais ce n’est pas bien grave car l’endettement massif accumulé jusque là a permis aux entreprises de dégager enfin des profits, lesquels sont appelés naturellement à les désendetter.
Incertitude quant à la capacité des entreprises à rembourser leurs dettes
Sauf que les entreprises ont préféré utiliser une partie de cet argent pour autre chose (les augmentations de salaires notamment), rendant du même coup beaucoup plus aléatoire la perspective d’un désendettement rapide.
Et c’est là que les investisseurs ont commencé à prendre peur. Financer une économie qui s’appuie provisoirement sur le crédit, passe encore, à condition que cela permette une croissance rapide et suffisante des entreprises qui pourront alors gagner de l’argent, se désendetter et conserver toute les nouvelles capacités de production ainsi que la rentabilité acquises grâce au crédit justement.
Mais si les fruits de la croissance se voient détournés de leur utilisation prévue, alors ça ne va plus et les investisseurs peuvent commencer à douter de la capacité des entreprises à rembourser leurs dettes avant un prochain et inévitable retournement de tendance financière qui semble déjà s’annoncer.
Une réaction en chaîne liée à la perte de confiance
La réaction en chaîne est alors engagée. Moins confiants, quelques investisseurs commencent à se désengager, entraînant les cours à la baisse, ce qui amplifie et généralise le sentiment de défiance, le diffusant à l’ensemble des marchés à mesure que les actionnaires revendent leurs positions de plus en plus rapidement.
Bientôt, la machine s’emballe et les marchés s’effondrent. Des dizaines de milliards de dollars changent de mains en quelques heures, parfois en quelques minutes seulement. La volatilité explose et l’offre massive tire continuellement les valeurs à la baisse.
Même schéma en France et dans les autres pays majeurs qui voient à leur tour leurs indices majeurs plonger de plusieurs centaines de points en quelques heures à peine. Les gains de plusieurs mois sont effacés en moins d’une journée et même si de nombreux garde-fous se déclenchent pour freiner la chute, tout le monde sait que ce n’est qu’une simple respiration et que les jours à venir vont sans doute apporter leur lot de nouvelles baisses.
Certes, à la base, tout est parti d’une bonne nouvelle. Mais comme cette bonne nouvelle est née d’une pratique particulièrement contestable et risquée (l’endettement massif par le jeu d’une politique monétaire plus qu’accommodante), il était fatal qu’un jour ou l’autre l’économie mondiale se voie présenter la facture. Et celle-ci risque de s’avérer particulièrement salée…