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Une récente décision de justice met en lumière les techniques appliquées par certaines grandes banques françaises pour faire taire les employés trop honnêtes qui dénoncent des malversations en interne.

Tout le monde se souvient de l’affaire Kerviel, du nom de ce trader un peu trop gourmand qui s’est retrouvé piégé dans une spirale spéculative hautement risquée dont s’arrangeait bien sa direction… mais qu’elle a fini par lui faire payer lorsque l’heure des comptes a sonné. On se souvient également de l’acharnement avec lequel la Société Générale, qui était alors son employeur, avait tenté de le faire passer pour un individu à la fois malhonnête et dangereux, un voleur à moitié-fou qui n’avait pas su refréner le sentiment de toute puissance qu’il ressentait à brasser ainsi des milliards d’euros d’un simple clic de souris. Aujourd’hui, on le sait, la réalité est beaucoup plus complexe, nuancée, pour ne pas dire totalement différente. De coupable absolu, Jérome Kerviel est devenu une sorte de maillon faible, le bouc émissaire d’une magouille à grande échelle qui a mal tourné. Et sans pour autant le dédouaner d’une certaine responsabilité, les juges ont fini par admettre que sa culpabilité était fortement amoindrie par celle, plus perverse et surtout plus élaborée de la banque qui avait parfaitement connaissance de ses agissements et qui, sans aller jusqu’à les encourager ouvertement, en avait toutefois largement profité.

La leçon de l’affaire Kerviel pour les banques : discrétion avant tout

Ce qu’on sait moins, en revanche, c’est que cette affaire a également eu des répercussions au sein des autres banques, et pas seulement dans le domaine du trading. Plus généralement en effet, les différents établissements bancaires français ont vite compris qu’il n’était pas forcément très judicieux de faire intervenir la justice pour régler un « différend » les opposant à certains de leurs employés. Car parfois, le bâton se retourne contre celui qui le brandit. C’est pourquoi, lorsque certains salariés de Natixis, filiale de BPCE, ou encore du Crédit Mutuel-CIC ont la mauvaise idée de soulever des problèmes qu’ils auraient mieux fait d’ignorer, le licenciement pour faute (ou « comportement inapproprié ») reste encore une arme bien pratique qui permet en outre de ne pas trop ébruiter l’affaire.

Sauf que certains licenciés décident parfois de faire valoir leurs droits. Oui, car ils en ont, les bougres ! Et avant qu’un éventuel futur gouvernement assurent aux banques une totale immunité, il faudra bien qu’elles continuent à subir la loi commune. Ainsi, le 16 décembre dernier, la justice a condamné la BPCE, par l’intermédiaire de sa filiale Natixis, à réintégrer un employé (nous l’appellerons Stéphane) qu’elle avait licencié car ce dernier s’était permis de dénoncer (en interne !) des pratiques illégales – en l’occurrence des manipulations de cours et autres délits d’initiés. Pire encore (pour la banque), l’ex-salarié trop vertueux s’est vu accorder un dédommagement de 334 000 euros ainsi qu’un rétablissement de sa rémunération avec effet rétroactif au 1er juillet 2016 de 5470 euros par mois jusqu’à réintégration.

Le statut de « lanceur d’alerte » officiellement reconnu dans les banques

Mais là où la décision a toute son importance c’est qu’elle est la première à reconnaître officiellement le statut de « lanceur d’alerte » à l’égard d’un salarié de banque dénonçant les agissements frauduleux de son employeur. Une décision qui fera sans doute plaisir à un autre cadre de la BPCE, directeur des risques et de la conformité, licencié en 2014 pour avoir, lui aussi, tenté d’alerter sa hiérarchie de l’existence de commissions occultes. Visiblement une mauvaise idée puisque, alors même que son rôle était justement de détecter des anomalies, celles-ci concernaient des opérations faisant malheureusement partie d’un « système de double marge sur des fonds à formule » dont la banque aurait préféré préserver la confidentialité. Pour le coup, outre le tribunal des prud’hommes chargé de statuer sur le cas de ce malheureux salarié trop honnête, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a également décidé de se saisir du dossier, tandis que le directeur général de la filiale concernée choisissait « prudemment » de démissionner.

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On pourrait également évoquer le cas de trois cadres du Crédit Mutuel CIC qui, en 2013, se sont vus signifier leur renvoi après avoir signalé des opérations douteuses au sein de leur filiale monégasque. Ou encore cette responsable marketing d’UBS France victime de harcèlement et discrimination pour avoir mis en cause l’organisation de l’évasion fiscale au sein de sa banque. Et la liste est encore longue, touchant pratiquement tous les noms de la place financière française. Sans compter toutes les personnes désabusées et parfois détruites qui ont choisi de s’en tenir là et d’accepter la sanction infligée par leur direction pour avoir brisé l’omerta, plutôt que de s’engager dans un bras de fer juridique de plusieurs années, avec comme dommage collatéral l’impossibilité de réintégrer le moindre établissement bancaire qui aura eu vent de leur « action ». On n’aime pas les gens trop curieux dans ce milieu.

Un combat encore trop inégal

Au final, même si la justice semble de plus en plus souvent disposée à donner raison à ces « lanceurs d’alerte » d’un nouveau genre, le chemin est encore long pour voir la probité et l’honnêteté de quelques individus s’imposer face à l’implacable rouleau compresseur du monde bancaire. Certains cyniques pourraient ici se dire que tout n’est qu’une question d’argent et que quelques millions devraient suffire à mettre tout le monde d’accord. Ce serait bien mal connaître les motivations de la plupart des ces gens qui dénoncent ce qui leur paraît anormal, au risque de mettre en péril leur carrière, leur vie sociale et même parfois familiale. Pour preuve, cet ancien responsable de la Deutsche Bank qui a purement et simplement refusé la « récompense » de 16,5 millions de dollars offerte par la Securities and Exchange commission (Sec), le gendarme boursier américain, pour avoir dénoncé un système de fraude impliquant les banques et les autorités de contrôle. L’enjeu était ailleurs pour lui.

Alors, en dépit des décisions qui commencent à être publiées en faveur des ex-salariés abusivement licenciés pour avoir dénoncé des agissements illicites dont ils ont été témoins, les banques préfèrent jouer la montre en faisant durer les procédures, systématisant les appels, activant toutes les possibilités offertes par le système judiciaire qui, on le sait, favorise toujours à la fin, non pas celui qui avait raison, mais celui qui aura eu les moyens et l’énergie d’aller jusqu’au bout. Le but des banques est ici clairement de décourager les individus qu’elles ont en face d’elles, mais c’est aussi un avertissement à l’attention de tous ceux qui pourraient avoir envie de tenter l’expérience. Ainsi, pour le cas de Stéphane, la direction des ressources humaines de Natixis a indiqué que la banque attendrait de recevoir la notification officielle du tribunal avant de prendre la décision de porter ou non l’affaire en Cassation. Même chose pour l’ex-directeur des risques trop zélé. Quant aux ex-employés du Crédit Mutuel-CIC, ils risquent de se voir eux-mêmes (ainsi que leur avocate) traînés en justice par leur ancien employeur pour… « atteinte à la présomption d’innocence ».

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Anthony Alberti
Entrepreneur depuis vingt ans dans le domaine de la communication et l'information stratégique, il a été amené à travailler plusieurs fois en partenariat avec des banques et des assurances, dont la principale matière d'œuvre était constituée de l'argent des épargnants. Peu complaisant à l'égard de leurs pratiques dont il a entrevu les coulisses, il délivre aujourd'hui régulièrement son analyse sans concession (et souvent piquante) non seulement sur les agissements des professionnels de la finance, mais aussi de tous ceux qui, de près ou de loin, se font les auteurs ou les complices des manipulations qui spolient chaque jour un peu plus les honnêtes citoyens.

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