Bien trop tardive, davantage subie que réellement gérée, la remontée des taux d’intérêt risque d’avoir un effet dévastateur sur la plupart des secteurs de l’économie, y compris pour les particuliers.
Effet Trump ou simple rebond inéluctable, on assiste depuis quelques jours à une forte remontée des taux obligataires, en France notamment où le taux à dix ans a été multiplié par 6 (!) depuis le mois d’octobre, tandis que Janet Yellen prévoit elle aussi de remonter les taux directeurs de la Banque fédérale américaine au mois de décembre. Quelques acteurs économiques s’en réjouissent, comme les banquiers par exemple, tant il est vrai que tous ces taux d’intérêts étaient tombés dramatiquement bas, voire en-dessous de zéro pour certains, amputant sérieusement leurs marges bénéficiaires. Mais la plupart des observateurs économiques y voient surtout une bien mauvaise nouvelle pour l’économie.
Quand le temps transforme un sauveur en fléau
En réalité, cette nouvelle aurait pu être bonne… si elle était arrivée plus tôt. Beaucoup plus tôt. En elle-même, une petite remontée des taux de temps en temps n’est pas une mauvaise chose, car, sans entrer dans le détail des mécanismes économiques, elle permet souvent de susciter une légère inflation propice à un regain de croissance. De la même façon, une baisse des taux peut également se révéler salvatrice lorsqu’il s’agit de relancer la consommation par exemple (en « pénalisant » l’excès d’épargne) et là encore de créer quelques points de croissance.
Sauf que tout cela est très théorique et que, comme en toute chose, l’essentiel est dans la mesure. En l’occurrence, la mesure fondamentale de la manipulation des taux directeurs, c’est le temps. Et force est de constater que cette mesure a été complètement ignorée par nos grands argentiers internationaux. Ce fut tout d’abord le cas lors de la baisse des taux, laquelle a été davantage subie que réellement gérée : en gros, on a suivi la musique qui se jouait en Asie et, dans une moindre mesure aux États-Unis, en croyant comme chaque fois à tort que ce qui était bon pour les uns le serait également pour les autres. Et ici, les autres, c’était nous. Mais une baisse des taux drastique, à plus forte raison lorsqu’ils commencent à s’enfoncer en territoire négatif, ne doit être que PRO-VI-SOIRE. Pour ne pas dire fugitive, un peu comme un coup de fouet donné à l’économie pour la rebooster. Là, la situation s’est éternisée durant des mois et des mois. Et aujourd’hui, alors qu’on envisage de remonter ces fameux taux directeurs (même si certains d’entre eux n’ont pas attendu notre permission pour de nouveau repartir à la hausse tout seuls comme des grands), c’est trop tard ! Le temps a transformé nos sauveurs en fléaux.
Les taux bas ont détourné l’argent vers des actifs alternatifs…
La raison en est simple et Pierre Sabatier, président du cabinet de recherche économique et financière PrimeView, l’explique assez bien dans un entretien accordé à Boursorama en mai dernier. Lorsque les taux diminuent et qu’ils restent trop bas trop longtemps, alors les obligations d’État perdent de leur intérêt au profit des autres types de placement. Or, certains acteurs économiques majeurs comme les compagnies d’assurance-vie par exemple (qui représentent en France 1600 milliards d’euros et 40% de l’épargne domestique), investissent majoritairement et massivement dans ces obligations (généralement bien sécurisées puisqu’elles sont garanties par l’État) pour parvenir à servir la rentabilité attendue par leur propres clients. Dès lors que les taux bas perdurent, les obligations ne rapportent plus assez et ces acteurs doivent donc se rabattre sur d’autres placements pour maintenir leur rentabilité. Par réflexe, les assureurs évitent les actions, trop risquées : le risque, c’est justement ce qu’ils assurent et, par définition, ce qui leur coûte de l’argent ; normal qu’ils le fuient comme la peste. Ils se tournent donc vers des investissement alternatifs tels que l’immobilier par exemple, créant du même coup une bulle spéculative sur laquelle on reviendra plus loin.
…qui vont sans doute s’effondrer !
La remontée des taux obligataires est donc une bien mauvaise nouvelle pour ces assureurs car, si elle contribue bien à ramener les investisseurs vers les obligations d’État, de nouveau plus attractives, elle les détourne mécaniquement des autres placements… qui voient donc leur valeur décroître plus ou moins brutalement. Classiquement, les actions sont les premières à subir le contrecoup d’une remontée des taux, et les places boursières qui semblaient avoir repris des couleurs ces deux dernières semaines ont donc du souci à se faire pour leurs indices phares. Mais le pire risque bien d’arriver du côté de l’immobilier, secteur qui a été artificiellement gonflé par l’appétence des assureurs et dont la valeur va, là aussi, probablement repartir plus ou moins rapidement à la baisse (la fameuse bulle évoquée plus haut). De la même façon, les obligations déjà en circulation, et achetées par les assureurs quand les taux étaient au ras des pâquerettes, vont voir leur valeur baisser considérablement sur le marché secondaire. En effet, qui voudrait racheter des obligations qui rapportent moins que celles actuellement émises ?
Au final, ces mêmes assureurs vont se retrouver avec des actifs assez peu liquides qui vaudront bientôt moins cher que le prix auquel ils les avaient acquis. Ce qui signifie à terme de grosses, de très grosses, de colossales moins-values inscrites au bilan des assurances-vie. C’est d’ailleurs ce qui a poussé notre ministre de l’économie, Michel Sapin, a récemment faire passer une loi autorisant les assureurs à ne pas rembourser leurs clients (ce qui revient à faire payer l’addition aux particuliers), histoire d’éviter une banqueroute généralisée de ce pan majeur de notre économie. Too big to fail, oui, on en est là…
Où l’on reparle de la planche à billets
Dans un tel contexte, les réflexes étant d’ores et déjà bien acquis chez nos banquiers centraux, on va ressortir la planche à billets pour produire encore plus de monnaie qui viendra combler les déficits prévisibles de tous les grands acteurs économiques qui seront frappés par la remontée des taux directeurs… Remontée des taux d’ailleurs décidée par ces mêmes banquiers centraux. Oui car l’ironie de cette histoire veut en effet que les médecins soient également les responsables du mal qu’ils cherchent ensuite à soigner.
L’ennui de l’accroissement monétaire c’est que trop de monnaie tue la monnaie. En d’autres termes, une création monétaire excessive nuit gravement à la crédibilité de la devise concernée. S’ensuit une perte de confiance des acteurs économiques qui commencent à douter de la solidité d’une monnaie produite artificiellement pour couvrir une dette… qui ne sera jamais remboursée. À ce moment-là, la confiance étant aujourd’hui la base de la valeur d’une monnaie, la perte de cette confiance risque bien d’entraîner une dévaluation monétaire dont les conséquences sont encore difficiles à appréhender dans le cas d’une monnaie commune à plusieurs économies très différentes comme peut l’être l’euro. Certains y voient le premier signe d’un futur délitement de l’union monétaire européenne, et même le signal attendu par quelques pays majeurs (comme l’Allemagne) pour sortir de la zone euro et créer un nouvel espace économique plus stable.
Et l’or dans tout ça ?
L’or est un cas à part et la plus mauvaise réaction en ce qui le concerne est de le considérer justement comme un placement « normal ». Ce qu’il n’est pas. On ne le répétera jamais assez : l’or N’EST PAS un support d’investissement spéculatif, c’est une valeur refuge qui permet de protéger son patrimoine en cas de crise. Vouloir lui appliquer les mêmes règles qu’autres autres placements est juste une aberration économique, pour ne pas dire une absurdité.
Certes, l’or est sensible aux fluctuations des marchés, mais pas de manière aussi directe, et surtout pas aussi immédiate que les autres actifs. L’or s’apprécie à long terme, et ses variations épisodiques DOIVENT être négligées. On ne s’enrichit pas sur l’or, on se protège. Dans le cas présent, une remontée des taux obligataires pénalise mécaniquement les marchés actions traditionnels. Peu importe qu’un épiphénomène vienne également bousculer les cours de l’or à court terme, cela n’est rien d’autre qu’un simple effet de l’inertie des marchés. À terme, l’or retrouvera naturellement son rôle de balancier de l’économie, et si les taux directeurs remontent, entraînant une possible chute des indices boursiers ainsi qu’une perte de confiance dans les devises (voir paragraphe au-dessus), alors notre bon vieux métal jaune sera toujours là pour nous permettre de conserver la valeur de notre capital.