L’inflation est de retour ! Tous les observateurs du monde économique le constatent. Pas un jour sans entendre parler d’augmentation des prix des matières premières, de l’énergie et des transports. Et pourtant, du côté des banques centrales on temporise sévèrement. On tente de comprendre pourquoi.
Ça augmente partout !
Depuis la mi-septembre 2021, Michel Edouard Leclerc « s’agite sur les plateaux de télévision » comme il l’écrit lui-même sur son blog dans un article titré : « se battre contre le retour de l’inflation ». Les chiffres d’augmentation des prix sur 6 mois (mars vs septembre) sont impressionnants :
– Matières premières industrielles : aluminium + 38% plastique + 21%, carton +23%, coton +19%.
– Matières premières agricoles : arabica +36%, colza +22%, blé dur +40%, etc.
– Et le pompon : transports maritimes +86% !
Michel Edouard Leclerc. septembre 2021
Et on ne parle pas de l’énergie où les annonces se succèdent : la commission de régulation de l’énergie (la CRE) ne peut que constater l’augmentation des prix du gaz importé répercutée dès octobre 2021 sur les tarifs réglementées de gaz de 12,6% à l’entrée de l’hiver.
On pourrait multiplier les exemples à l’envi dans la construction où la pénurie de matériaux se transforme en instabilité des prix. Un enfer pour les entreprises du bâtiment qui n’arrivent plus à garantir des devis sur plus d’un mois. On parle de plus en plus souvent de projets arrêtés soit par manque de matières premières soit en raison de l’impossibilité de se couvrir sur les risques de fluctuations de prix sur la durée d’un chantier.
Inflation ? Circulez, il n’y a rien à voir !
Il ne reste plus que l’augmentation des salaires à constater (c’est le cas en Grande-Bretagne) et il sera alors difficile de ne pas parler d’inflation.
Ne pas surréagir pour la BCE
Et pendant ce temps-là, les discours des banquiers centraux se succèdent sur toujours la même mélodie : l’inflation n’est pas durable, c’est un coup de surchauffe avec le redémarrage des économies après la crise sanitaire. Christine Lagarde à la tête de la BCE invite tout le monde « à ne pas surréagir à des chocs d’offre transitoires qui n’ont aucune influence sur le moyen terme ». Pour elle, l’inflation en Europe qui atteint les 3% et sans doute 4% à la fin de l’année 2021, n’est qu’un phénomène temporaire. Elle s’attend à un retour aux 2% d’inflation dans quelques mois. Elle pense inutile donc d’augmenter les taux d’intérêts pour ralentir le moteur économique.
Le risque sanitaire pèse encore pour la FED
Du côté de Jérôme Powell, le patron de la réserve fédérale américaine, on a bien relevé le risque inflationniste. Donc le resserrement de la politique américaine devrait intervenir un peu plus tôt que prévu. En clair, les taux pourraient remonter et les actions de Quantitative Easing (QE) ralentir pour arrêter d’injecter des liquidités dans l’économie. Mais la FED ne veut pas y aller trop vite craignant que l’inflation ne soit qu’en fait une problématique de « goulets d’étranglements » avec une reprise mondiale trop rapide et massive. Surtout, le grand argentier américain ne veut pas risquer un effondrement boursier provoqué par un ralentissement de l’économie.
Pourquoi ne pas augmenter les taux ?
Les banques centrales sont prises entre deux feux :
Le monde de la finance
Il y a bien sur les investisseurs en bourse qui risquent de perdre beaucoup si le resserrement monétaire provoque un ralentissement de l’activité économique. Les actions, au plus haut, pourraient chuter et la valeur des portefeuilles des grands fonds avec. Même chose pour les assureurs. Souvenez-vous la pression mise par ce secteur sur le gouvernement et les consommateurs pour accélérer le transfert des comptes en euros vers des unités de comptes. Les professionnels nous ont expliqué qu’ils n’avaient plus de rendements assez forts en raison des taux d’intérêts trop faibles voire négatifs. Pour cela, la solution c’était de passer en unités de comptes avec des placements boursiers. Evidemment quand les marchés sont au plus haut, c’est particulièrement attractif. Si la bourse s’effondre, de nombreux épargnants vont perdre « virtuellement* » beaucoup d’argent (*virtuellement : tant qu’ils n’ont pas liquidé leur assurance, cela peut toujours remonter).
Les Etats endettés
Les banques centrales sont « indépendantes » du pouvoir politique et des administrations, mais elles sont quand même très liées aux Etats. Et depuis 2008, la stratégie de l’inflation et des taux d’intérêts proche de 0 avait pour objectif de permettre aux économies des pays de poursuivre leur croissance. Avec des taux d’intérêt négatifs, des pays comme la France ont pu augmenter la dette publique en étant quasiment rémunérés. Les puristes rappelleront que dans une dette on ne rembourse pas que les intérêts mais aussi le capital. Donc, si la croissance n’est pas au rendez-vous et que la collecte de l’impôt ne progresse pas, il faut à nouveau emprunter pour pouvoir rembourser le capital des emprunts précédents. Alors si les taux remontent, l’argent est plus cher. L’emprunteur, même si c’est un Etat, commence à rencontrer des difficultés.
Taux bas, inflation haute ?
Donc, on peut estimer que les taux, malgré l’inflation, ne remonteront pas avant de nombreux mois. Et si tout se passe comme Christine Lagarde le prévoit, après la fièvre post-covid, on repartira dans un fonctionnement basé sur une inflation à moins de 2% et des taux d’intérêt proches de zéro.
Rendez-vous dans un an pour vérifier.