Après des décennies de domination, les États-Unis sont-ils en train de perdre leur pouvoir sur le reste de la planète ? Ces derniers mois, les signaux lancés par plusieurs pays d’Asie et du Moyen-Orient montrent une certaine volonté d’émancipation de cette autorité américaine. L’Asie au centre du monde ? Réponses de Thomas Flichy de La Neuville, docteur en droit et fondateur de la lettre mensuelle Asie Stratégique.
Les BRICS veulent semble-t-il monter en puissance. On enregistre une volonté de ne plus dépendre du dollar pour plusieurs pays. Qu’en pensez-vous ?
Thomas Flichy de La Neuville : C’est une tentative des puissances centrales continentales de trouver une voie alternative. Cette tentative à débuté vers 2014 quand la Russie, la Chine et l’Inde ont commencé un système de compensation financière puis ils ont mis en place de systèmes alternatifs à Swift (échanges interbancaires internationaux), enfin des crypto monnaies ou des monnaies numériques ont été lancées. Ces 3 outils ont permis l’installation d’un système financier alternatif aux systèmes occidentaux. L’intégration de 6 nouveaux États dans les BRICS à l’été 2023 permet d’augmenter de 10 % la puissance de ce système monétaire et financier.
Ces pays ont aussi le droit d’utiliser la monnaie qu’ils veulent pour leurs échanges ?
Thomas Flichy de La Neuville : En matière « méta-bancaire », il y a un aspect psychologique important. Et les sanctions économiques contre la Russie après le déclenchement de la guerre en Ukraine a été un véritable détonateur. La confiance de certains pays dans le dollar, autrement dit, la capacité des États-Unis à être le leader du monde dans les décennies à venir est en train de s’émousser.
Mais l’Asie n’a-t-elle pas les moyens de se développer sans l’Occident ?
Déjà la Chine peut se suffire à elle-même. A travers l’Histoire, on note quelques incursions commerciales vers l’Europe ou l’Asie centrale mais en général, elle se contente de son immensité, de sa population très dense. Depuis toujours, elle s’est défendue des invasions du Nord, elle n’est pas « expansionniste » par la mer. L’Eurasie pourrait aussi se passer du reste du monde avec des voies de communication plus performantes vers l’extrême Orient et l’Europe. Si c’était le cas, ce serait la fin des États-Unis. Depuis plus d’un siècle, les Américains assurent leur domination par la combinaison de sa flotte de commerce et de sa flotte de guerre. La Chine s’est tournée vers la mer il n’y a qu’une trentaine d’années seulement. C’est vraiment rien par rapport à l’histoire millénaire de l’Empire du Milieu. Aujourd’hui, des voies de communication se développent en Asie, avec les nouvelles routes de la Soie chinoises, mais aussi entre la Russie et l’Inde. On le voit bien avec le commerce du pétrole et du gaz russes…qui passent par l’Inde pour rejoindre l’Europe.
Quelle sera la place de l’Asie dans le monde dans les 5 ou 10 ans ?
Thomas Flichy de La Neuville : Si on veut faire de la prospective, il faut prendre des indicateurs de long terme. Il faut regarder l’indice de vitalité d’un pays (créativité, innovation, culture). Si on regarde les grandes puissances asiatiques :
- Le Japon connait de gros problèmes démographiques ;
- C’est aussi vrai pour la Chine qui a cassé son modèle familial, elle aura des difficultés à se projeter, à construire des relations à long terme avec son environnement et même avec l’Afrique où elle s’est investie ;
- En revanche pour l’Inde qui développe un modèle national, qui a conservé une démographie dynamique, qui n’a pas décapité ses élites, il est probable qu’elle joue un rôle important. Et ce n’est pas en raison de son dynamisme économique d’aujourd’hui mais en raison de sa réserve de puissance, de sa créativité.
Alors peut-être que les Etats-Unis se trompent d’ennemi en ciblant la Chine. Regarder l’avenir d’un pays au travers de son PIB ne suffit pas, il faut aussi regarder sa capacité à créer.
