En 1803, le franc germinal valait 5 grammes d’argent (avec 1 gramme d’or = 15,5 grammes d’argent), et la quasi-totalité des réserves de la Banque de France étaient détenues sous forme d’argent. À partir des grandes découvertes minières aurifères et argentifères au milieu du XIXe siècle, le double-étalon se met à craquer. En retirant toute valeur monétaire à l’argent en 1928, le franc Poincaré enfonce le dernier clou dans le cercueil du métal blanc.
Quelle a été l’évolution des réserves d’argent métal de la Banque de France, depuis 1803 ?
Voici la réponse en graphique, que j’ai pu construire sur la base d’une série statistique que m’a aimablement communiquée le service presse de la Banque de France.
Commençons par décrire les grandes évolutions observables sur ce graphique :
- Entre 1800 (37 tonnes d’argent) et 1869 (2339 tonnes), la tendance est globalement à la hausse ;
- Un plus bas est atteint en 1871 (372 tonnes), puis c’est une très forte augmentation quasi constante jusqu’en 1892, lorsque le record historique est atteint avec 5756 tonnes de métal ;
- Ensuite, c’est la débandade : la Banque de France détient encore 728 tonnes d’argent en 1928, après quoi le métal disparaît de ses réserves de ses réserves de change.
Ceci dit, on ne peut pas envisager l’histoire du stock d’argent de la Banque de France sans s’intéresser dans le même temps à l’évolution de ses réserves d’or.
Quelle a été l’évolution des réserves d’argent de la Banque de France par rapport à ses réserves d’or ?
Sur ce graphique, on voit que jusqu’en 1916, la Banque de France détenait plus d’argent que d’or au sein de ses réserves, après quoi l’or a pris le dessus.
Il ne faut cependant pas en rester là. Ce que vous pouvez observer ci-dessus, c’est en effet le nombre de tonnes de métal (or et argent) dans les réserves de la Banque de France.
Mais cela ne nous dit rien au sujet de la valeur que ces deux métaux représentaient dans les réserves de change de la Banque de France.
Pour me faire une idée de la question, j’ai réalisé ce troisième graphique, sur lequel les réserves d’argent de la Banque de France ne sont pas représentées en tonnes, mais en tonnes équivalent or. Cela signifie tout simplement que j’ai divisé le montant des réserves d’argent détenues par la Banque de France par le rapport monétaire entre l’or et l’argent au cours de cette période. Par ailleurs, l’axe vertical est gradué selon une échelle logarithmique. Derrière ce mot barbare figure une réalité très simple à comprendre : ce type d’échelle permet en l’occurrence de faire apparaître les variations avec la même dimension en centimètres sur le graphique, quel que soit le niveau de tonnage.
On constate ainsi que, en valeur (et non en tonnes) :
- Jusqu’en 1860, la Banque de France détenait plus d’argent que d’or au sein de ses réserves, après quoi l’or a pris la tête ;
- Le record de 1892 à 5756 tonnes d’argent correspondait alors à 371 tonnes d’or.
Reste à expliquer ces évolutions…
Pour quelles raisons les réserves d’argent de la Banque de France ont-elles évolué dans le temps ?
Les réserves d’or et d’argent de la Banque de France, du franc germinal à la Première guerre mondiale
Quelles sont les matières de réserve sous l’Ancien Régime ?
Sous l’Ancien Régime, la France fonctionne sous un système bimétallique[1] alliant or et argent. Le rapport entre les deux métaux est de 14,5, avant de passer à 15,5 en 1785, sous l’effet de l’offre et la demande d’argent. En clair : 1 gramme d’or vaut 15,5 grammes d’argent.
L’ordre monétaire de la France se fixe en 1803, avec la loi de 1803, laquelle arrête la charte finale du franc, défini en argent : « Cinq grammes d’argent, au titre de 9 /10 de fin, constitue l’unité monétaire ». La loi de germinal confirme par ailleurs le rapport entre l’or et l’argent à 15,5.
La Banque de France, dans son encaisse, accumule les deux métaux.
L’impact de l’offre et la demande d’or et d’argent sur leur rapport monétaire
Comme le raconte René Sédillot dans son Histoire de l’or (Fayard, 1971) : « Par une chance assez extraordinaire, les cours respectifs de l’or et de l’argent restent suffisamment stables durant les deux premiers tiers du XIXe siècle, pour que leur rapport marchand ne s’éloigne guère du niveau retenu par les législateurs. »
Cependant, suite aux découvertes d’or en Californie (1848) et en Australie (1851), le rapport entre l’or et l’argent se met à tanguer, et le double-étalon se met à craquer. « L’argent, devenu la “bonne monnaie”, tend à disparaître de la circulation », pointe l’historien. Puis c’est la valeur de l’argent qui baisse sur le marché, suite aux découvertes de métal blanc au Nevada (1859). « Maintenir dans ces conditions le bimétallisme, même limité aux pièces de 5 francs, c’est accepter la fuite de l’or », rappelle Sédillot. L’argent est condamné.
Et pourtant, la France et l’Union latine persévèrent dans le bimétallisme jusqu’au début des années 1870, avant de passer à l’étalon-or.
Les réserves d’or et d’argent de la Banque de France, de la Première guerre mondiale au franc Poincaré
Avec l’entrée dans la Première guerre mondiale, le franc cesse d’être convertible en or : il a cours forcé. Le financement de la guerre fait entrer le franc en crise.
À l’issue de la guerre, le franc reste victime des crises politiques et financières à répétition.
En 1926, Raymond Poincaré est rappelé aux affaires pour sauver le franc. Cumulant la présidence du Conseil et le portefeuille des Finances, il autorise la Banque de France à acheter de l’or et des devises au cours du marché, stabilisant ainsi le franc au bout de 2 ans.
En 1928 est mis en place le franc Poincaré. Lucide, Poincaré renonce à la parité de germinal : le franc ne vaut plus qu’1/5ème du franc germinal, représentant non plus 290,32 milligrammes d’or fin mais 58,95 milligrammes. Cette nouvelle « faillite des quatre cinquièmes » (selon les détracteurs de Poincaré) permet le retour à l’étalon-or (pour l’usage international).
La loi monétaire précise que l’encaisse or devra être « égale au minimum à 35 % du montant cumulé des billets au porteur en circulation et des comptes courants créditeurs. »
Cette fois, il n’est plus question du métal blanc. L’argent ainsi démonétisé, la Banque de France n’a plus lieu d’en détenir au sein de ses réserves de change.
[1] Il s’agit d’un système de fait, au sens où cette question monétaire n’avait à l’époque pas encore été théorisée.