Au-delà du sensationnalisme et des réactions faussement outrées d’une certaine catégorie de politiques qui donnent l’impression de redécouvrir l’existence des paradis fiscaux, les récentes révélations des « Panama papers » ont surtout ravivé l’indignation publique au sujet des sommes considérables qui échappent chaque année aux économies dont elles sont issues. Cependant, personne n’est dupe et tout le monde sait très bien que ce scoop mondial… n’en est pas vraiment un.
Retour des vieux clichés
Passons sur la ficelle grossière qui consiste à jeter l’opprobre sur des personnalités déjà passablement dénigrées et blacklistées, ravivant au passage les clichés géopolitiques aussi naïfs que populaires datant des années 80 qui présentaient la grande Amérique comme la garante de la moralité mondiale. Et c’est vrai que le rapport de l’International Consortium of Investigative Journalism (ICIJ) épingle les agissements de tout un tas de gens pas très fréquentables, de Poutine à Bachar el-Assad en passant par les princes du Golfe et les hauts dignitaires chinois, sans oublier quelques Européens qui ont su se distinguer par leur propension au mensonge, à la dissimulation et à la fraude.
En revanche, il semble qu’aucun Américain connu ne fasse partie des centaines de « Power Players » (ou personnalités de premier plan) identifiés dans l’enquête menée de main de maître par cette association de journalistes. Et le fait que celle-ci soit basée à Washington, États-Unis, ou qu’elle soit affiliée à l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), elle-même financée par le gouvernement américain à travers son agence de développement international (un gage d’impartialité évident) ainsi que par la fondation de Georges Soros (financier milliardaire américain en pleine campagne anti-Trump) ne sont que pures coïncidences.
Panama : paradis fiscal bas de gamme
Pour autant, il y a une autre raison beaucoup plus sérieuse pour laquelle on ne trouve pas ou peu d’Américains dans les 11,5 millions de documents récupérés dans ce cabinet d’avocats panaméen décidément bien peu soigneux de ses archives. La même raison d’ailleurs explique aussi pourquoi cette « découverte » fortuite risque bien de mettre un coup d’arrêt, au moins provisoire, aux enquêtes portant sur les autres paradis fiscaux.
En réalité, le Panama n’est pas un paradis fiscal très attractif (le pays pratique une imposition pour les particuliers comme pour les entreprises qui peut aller jusqu’à 25%) et les montages qui permettent d’y investir ne sont pas très élaborés. En gros, c’est du paradis fiscal low cost, surtout utilisé par des gens dont la richesse, souvent mal acquise, ne s’est pas accompagnée d’une solide formation économique et financière. C’est pourquoi, qu’il s’agisse de dirigeants du Tiers-Monde ayant acquis récemment leur fortune en volant leurs compatriotes, d’anciens trafiquants reconvertis dans les affaires, de footballers, de politiciens sans envergure ou encore de bédouins sanguinaires ayant eu la chance de naître sur un puits de pétrole, on retrouve surtout des autocrates et des « célébrités » dont la finesse d’esprit n’a jamais constitué le trait de caractère dominant, de simples magouilleurs évoluant généralement dans les plus hautes sphères depuis trop peu de temps pour en avoir assimilé les qualités.
La véritable évasion fiscale est quasiment indémontable
Les experts de l’évasion fiscale, en revanche — qu’ils soient hommes d’affaires issus de grandes dynasties industrielles ou encore banquiers internationaux ayant traversé la plupart des conflits mondiaux de ces deux derniers siècles en en ressortant toujours gagnants — savent qu’il existe d’autres moyens de limiter ce qu’ils considèrent comme une spoliation légalisée. Des moyens beaucoup plus élaborés qui peuvent même donner l’illusion de la régularité la plus parfaite, masquant des opérations douteuses sous des dehors on ne peut plus respectables, parfois même avec la complicité des États qui, justement, sont censés lutter contre les paradis fiscaux. Ainsi, que dire du secret bancaire qui existait encore récemment dans certains pays européens, comme l’Autriche par exemple, mais aussi au Luxembourg et en Belgique, sièges emblématiques des institutions de l’Union Européenne ? On peut aussi évoquer l’opacité cultivée par différents États américains, comme le Delaware notamment où près d’un million de sociétés étrangères sont enregistrées dans le seul but de profiter d’une fiscalité nulle.
Sérieusement, les Américains n’ont que faire du Panama, ils ont les Îles Caïmans ou les Bermudes. Les Anglais ne vont pas se compliquer la vie avec l’Amérique Centrale alors qu’ils peuvent bénéficier des avantages fiscaux de certaines des îles dépendant du Royaume-Uni comme les Îles Vierges Britanniques… ou même celles qui se trouvent à quelques encablures de leurs côtes, comme Jersey ou Guernesey par exemple. D’ailleurs, comme le faisait déjà remarquer le journal La Tribune en 2013, un montage nettement plus élaboré qu’un simple compte offshore facile à détecter, consisterait plutôt à « créer un trust à Jersey, propriété (ou propriétaire) d’une société holding aux îles Caïmans, laquelle détiendrait des actifs réels comme un château en Angleterre, une entreprise en France et du cash en Suisse par exemple« . D’autres techniques font intervenir des entreprises enregistrées à Singapour sur lesquelles ils est impossible d’enquêter… sans demander son autorisation au titulaire du compte ! Bref, autant de méthodes permettant l’évasion fiscale à un autre niveau qui rendent quasiment impossibles toutes tentatives de remonter la piste des fonds optimisés ainsi que de leurs véritables détenteurs.
Opération « poudre aux yeux »
Enfin, certains se sont émus de la bonne fortune des journalistes de l’ICIJ qui sont ainsi tombés sur 2,6 téraoctets de données ultra-confidentielles propres à occuper sans doute les autorités de pas mal de pays pendant quelques années. Et d’aucuns de supposer que, si on avait cherché à saturer les services d’enquêtes fiscales avec des informations concernant des gens de moindre importance, on ne s’y serait pas pris autrement. Les « Panama papers » pourraient-ils être juste un os à ronger à l’attention de ceux qui luttent contre les paradis fiscaux ? Une sorte d’opération « poudre aux yeux » destinée à détourner provisoirement l’attention des gendarmes financiers internationaux, le temps de consolider d’autres dispositifs bien plus élaborés, impliquant peut-être des personnalités ou des organisations autrement plus importantes.
Bien qu’aucun chiffre n’ait été officiellement communiqué, on estime que l’évasion fiscale au Panama représente entre 40 et 150 milliards de dollars… alors que le total des sommes détournées vers l’ensemble des paradis fiscaux est évalué à 30 000 milliards de dollars ! Par conséquent, le sacrifice d’une pièce du réseau parmi les moins intéressantes, et représentant à peine 0,5% des fonds concernés, pourrait parfaitement être considéré comme une perte acceptable pour qui voudrait protéger l’ensemble du dispositif. Surtout si cela permet au passage de nuire à quelques ennemis stratégiques ou politiques.
Vous ai-je dit que que l’affaire a été révélée par un groupe de journalistes basés à Washington, au sein d’une organisation plus ou moins directement financée par le gouvernement américain…?