Décidément, nos autorités financières ne savent pas ranger leurs affaires. Tandis que la Banque centrale européenne injecte désormais 80 milliards d’euros supplémentaires tous les mois dans les économies des pays membres, le PIB de la zone euro, quant à lui, ne progresse que de 2,5 milliards sur la même période. Et chacun de se demander où est passé le reste…
Depuis 2015, la BCE a décidé de systématiser sa politique d’assouplissement quantitatif, ou quantitative easing (QE), une procédure normalement provisoire qui consiste en gros à augmenter la quantité d’argent disponible pour faciliter le fonctionnement de l’économie dans la zone euro. Évidemment, cette mesure tendrait à faire croire que les problèmes économiques actuels seraient dus uniquement (ou en tout cas majoritairement) à un manque de liquidités, alors que tout le monde sait que l’instabilité des marchés comme l’effondrement progressif de nos systèmes financiers et industriels sont liés à un grand nombre d’autres facteurs bien plus importants.
Une création monétaire massive qui crée l’illusion
En effet, parmi les causes de notre situation actuelle, qui pourrait occulter la désindustrialisation mortifère des pays de l’Europe occidentale durant ces 30 dernières années, au profit de l’Asie notamment, mais aussi du Maghreb et de tous les autres endroits du monde ayant choisi de sacrifier leur main d’œuvre pour mieux séduire nos décideurs ? De la même façon, comment ne pas relier la baisse constante de compétitivité des entreprises européennes à la pression des politiques sociales et fiscales qu’elles subissent depuis de nombreuses années, là encore pour compenser les errements d’une finance qui ne peut plus assurer son rôle premier de soutien à l’économie ?
En clair, la BCE semble nier (ou ignorer, ce qui est presque pire !) les vraies raisons du marasme économique européen, et considère qu’il suffit d’ajouter beaucoup plus d’eau dans un seau sans fond pour voir monter le niveau du liquide. Alors, certes, l’afflux massif de liquidités va donner l’illusion de combler les besoins des marchés. Mais l’endettement systémique de ces derniers, ainsi que les pratiques abusives (avérées ou masquées) des institutions bancaires, vont absorber l’essentiel de cette manne pour finalement n’en laisser filtrer que la partie congrue au profit de l’économie réelle.
Résultat quasi nul pour le quantitative easing
C’est pourquoi, malgré les 650 milliards d’euros supplémentaires généreusement octroyés aux pays de l’Union européenne en 2015 par la BCE (sous couvert de racheter des obligations d’État auprès des banques notamment), le PIB de ces mêmes pays membres n’a progressé que de … 31 milliards d’euros. En termes clairs, cela signifie que pour obtenir 1 euro de gain de production supplémentaire, il aura fallu injecter plus de 18 euros dans la machine ! On a connu des rendements bien meilleurs…
Pour cette seule année 2016, la BCE a déjà quasiment distribué 600 milliards d’euros de plus au titre du quantitative easing (elle est passée de 60 milliards par mois en 2015 à 80 milliards en 2016). Pour autant, la croissance économique continue à flirter avec la nullité absolue. Plus rien ne bouge, tous les efforts des pays européens paraissant surtout se concentrer sur le maintien de la situation catastrophique actuelle… afin d’éviter qu’elle empire davantage ! Un peu comme si, pour reprendre notre image du seau sans fond de tout à l’heure, on cherchait à garder l’eau à l’intérieur en mettant ses mains en-dessous. Il est évident qu’on ne peut pas faire autre chose en même temps.
Une redistribution invisible
On a dit récemment que la BCE était devenue le plus gros redistributeur de richesses de l’histoire. L’ennui, c’est que ni les entreprises ni les particuliers n’ont vu la couleur de cette redistribution. À la fin de l’année, la BCE aura peut-être distribué plus de 1300 milliards d’euros supplémentaires en 2 ans, dont seuls 5 % environ se retrouveront dans l’économie réelle. Mais personne ne se demande où passe le reste. Personne ne semble s’émouvoir du fait que, désormais, l’essentiel des fluctuations des grands indices européens, comme le CAC40 par exemple, sont presque exclusivement liées aux performances des valeurs bancaires.
Personne ne semble non plus comprendre qu’en augmentant ainsi la masse monétaire plus vite que la croissance du produit national brut, on ne va pas créer de l’inflation, n’en déplaise aux économistes monétaristes, dont le cerveau et les réflexes de pensée sont restés bloqués aux années 1980. En réalité, on est simplement en train de détruire la valeur de la devise européenne, tout en engraissant ceux qui sont devenus les intermédiaires incontournables entre l’économie politique et l’économie réelle, à savoir les banquiers.
Et quand le FMI dit que 40% des banques européennes ne sont plus viables (et qu’elles seront sans doute 80% en 2019), on peut légitimement s’étonner. 650 milliards d’euros par an, ça ne s’évapore quand même pas aussi facilement. Mais le pire, c’est que si les estimations du FMI devaient se vérifier (et pour une fois, on peut supposer qu’on n’est pas loin de la vérité, voire en-deça), et sachant que l’Union européenne a décidé de ne plus cracher au bassinet pour sauver les banques comme en 2008, alors on peut craindre une série de faillites bancaires dans lesquelles on ne trouvera plus aucune trace de ces centaines de milliards d’euros. L’ennui c’est que la seule solution que nos gouvernements trouveront pour éponger les dettes sera, une fois encore, de faire payer les épargnants. Ces mêmes épargnants qui, non contents de n’avoir rien vu de ces 80 milliards d’euros par mois, devront sans doute encore en payer autant pour éviter aux banquiers de casser leur tirelire panaméenne, caïmanienne ou niuméenne.
Le système bancaire est le ténia de la démocratie