Chaque année, des centaines de millions d’euros sont saisis et confisqués lors d’enquêtes criminelles. Or, la plupart des sommes issues de la vente de ces biens finissent dans les caisses de l’État, souvent au détriment des victimes et au grand dam de la Cour des Comptes qui regrette le manque de transparence des autorités sur cette question.
Depuis 2010, la France s’est dotée d’une nouvelle institution chargée de gérer les centaines de millions d’avoirs criminels saisis par les autorités policières et judiciaires. Trafics en tous genres, escroqueries, vols, abus de biens sociaux, ce sont ainsi entre 300 et 700 millions d’euros que l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) collecte chaque année. Et ce chiffre est en progression constante. L’ennui, c’est que, depuis le début, il semble difficile de contrôler et de suivre correctement l’extrême diversité des biens saisis, au point que la Cour des Comptes s’en est émue et qu’elle a récemment rendu public un référé dans lequel elle pointe les insuffisances et les incohérences de cette gestion un peu particulière.
Ainsi, si elle dresse globalement un premier bilan plutôt positif de la création et de la gestion de cette agence depuis 2010, elle ne peut s’empêcher toutefois de remarquer que « les mécanismes d’affectation des excédents budgétaires de l’agence à plusieurs ministères dérogent aux principes d’unité et d’universalité budgétaire ». En clair, elle trouve que l’État a souvent tendance à s’approprier le butin confisqué aux brigands, d’autant que la partie devant finalement revenir aux victimes au titre de dédommagements se révèle particulièrement ridicule.
Le rôle de l’AGRASC
Concrètement, L’Agrasc se voit confier quatre types de biens issus des manœuvres frauduleuses ou criminelles d’individus rattrapés par la justice :
- des comptes bancaires (en France généralement)
- de l’argent liquide (qui constitue près de la moitié des biens saisis en valeur !)
- des biens immobiliers
- et certains biens meubles
Cette dernière catégorie est d’ailleurs un fourre-tout dans lequel on retrouve aussi bien des bijoux volés que des véhicules appartenant à des malfaiteurs, des bien de consommation courante achetés frauduleusement, des meubles meublants, des œuvres d’art, ou encore des pièces et des lingots en métaux précieux.
En pratique, la gestion des tous ces avoirs par l’Agrasc est censée n’être que provisoire, le temps que la justice fasse son œuvre et que les éventuelles victimes soient dédommagées, voire que les biens soient restitués à leurs propriétaires lorsque ceux-ci bénéficient « d’un acquittement, d’un non-lieu ou d’une relaxe ». Toutefois, l’Agrasc ne se contente pas de « garder » ces biens en attendant qu’on lui dise à qui les rendre, car bien souvent, il s’agit d’acquisitions légitimes (achats classiques) mais effectuées par des individus malhonnêtes ayant violé la loi pour s’enrichir indûment (et ça va de l’abus de biens sociaux au trafic de drogue en passant par le proxénétisme, le recel ou même le vol à main armée). Difficile dans ces conditions de trouver des victimes à dédommager et seule la vente des biens saisis permet de récupérer leur valeur avant de la restituer… à l’État (on y reviendra un peu plus loin).
Dysfonctionnements et autres « légèretés »
D’ailleurs, lorsque ces biens « ne sont plus utiles à la manifestation de la vérité » et qu’il existe un risque de dépréciation, le juge peut autoriser l’Agrasc à les vendre avant même la tenue du procès, à charge ensuite pour l’agence de consigner le produit de cette vente sur un compte de la Caisse des dépôts et consignations. Dès lors, même en cas d’acquittement, de non-lieu ou de relaxe, la personne injustement poursuivie ne pourra pas recouvrer la pleine propriété de ses biens et devra se contenter des sommes récupérées à la suite de ventes (souvent aux enchères) pas toujours menées à son avantage.
De la même façon, la Cour des comptes note que la faiblesse des effectifs de l’Agrasc, ainsi qu’une relative inertie administrative, ne permettent pas à l’agence de prendre convenablement en charge les biens meubles saisis, lesquels finissent très souvent stockés dans les locaux des juridictions tierces, dans des conditions qui « ne répondent pas aux exigences minimales attendues, en termes de sécurité, d’hygiène et de sûreté ». En clair, outre l’obligation pour certaines administrations de police et de justice d’assumer des coûts supplémentaires de stockage pour des biens saisis aux prévenus, il existe également un risque de « disparition » de certains scellés judiciaires de valeur, favorisée par une mauvaise gestion des stocks.
Une intervention de l’État opaque au détriment des victimes
Enfin, la Cour des comptes déplore que, lorsque les biens saisis sont vendus et que le résultat de cette vente est transféré au budget général de l’État, « ces flux sont d’une telle opacité que le montant total des avoirs effectivement confisqués et recouvrés sur le territoire national demeure une donnée inconnue ». Hormis le fait que cette situation ne permet pas de juger des évolutions des actions de recouvrement engagées, elle a surtout pour conséquence de nuire à l’indemnisation des victimes que la Cour des comptes juge clairement « en deçà de son potentiel ».
Concrètement, sur les quelques 500 millions d’euros saisis par l’Agrasc en 2015, seul 1,6 million d’euros a été reversé aux victimes au titre de leur indemnisation. D’ailleurs, la Cour des comptes reconnaît que, du fait même de ses statuts, le but avoué de l’Agrasc est de gagner de l’argent (elle reçoit 1,8 million d’euros de commissions sur les biens confisqués chaque année, en plus de ses dotations qui s’élèvent à près de 5 millions d’euros) et que « l’indemnisation des victimes n’est pas présentée comme une priorité de l’agence », une situation paradoxale alors même que le principe de compensation du préjudice subi « est présentée comme une priorité par l’État et que les dépenses budgétaires correspondantes sont en augmentation. »
Au final, même si l’écrasante majorité des biens saisis est toujours stockée en attente d’une décision de justice (on parle d’un « trésor » de plus d’un milliard d’euros), et même si on a encore du mal à déterminer exactement les sommes qu’il perçoit chaque année, le grand gagnant de cette opération de récupération des avoirs criminels reste l’État, que ce soit à travers ses ministères (Finances et Justice) ou par l’intermédiaire d’autres acteurs comme France Domaine et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) pour ne citer que les principaux. Il ne faut pas oublier non plus que, si l’essentiel des sommes saisies en numéraires et sur les comptes bancaires n’appartient pas à l’État mais se trouve simplement « consigné » en attente de jugements, l’État reste toutefois autorisé à placer cet argent pour profiter des intérêt. Certes, le taux fixé à 1% par arrêté du ministre de l’Économie n’est pas exceptionnel, mais quand on sait que l’argent saisi encore sous scellés judiciaires représente environ 400 millions d’euros, cela permet tout de même à l’État de percevoir annuellement la coquette somme de 4 millions d’euros via l’Agrasc.
Les victimes, quant à elles, peinent encore à faire reconnaître la valeur du préjudice qu’elle ont subi. Mais, au-delà de cet aspect, elles ont surtout très souvent beaucoup de mal à récupérer tout simplement les biens dont elles ont été injustement dépossédés et qui restent stockés, quelque part, sous la surveillance d’une agence pas toujours très efficace.