Les parlementaires belges sont sur le point de voter une mesure permettant d’exercer une activité totalement exonérée d’impôt et de charges sociales jusqu’à 500 euros par mois. Pas de quoi en vivre, mais suffisamment tout de même pour donner l’impression de « légaliser » le travail au noir.
En Belgique comme en France, la loi impose que toute activité rémunérée soit déclarée afin que l’État puisse prélever sa part. Dans les faits, les individus ont toujours cherché à échapper plus ou moins partiellement à un appétit fiscal et social que d’aucuns jugent souvent excessif, et on estime qu’environ 20% de l’activité économique de chaque pays européen est constitué par du travail non déclaré, quelles que soient les mesures mises en place pour tenter d’endiguer le phénomène.
Car le travail au noir est considéré comme une plaie pour la plupart des économies. Même si, de manière très factuelle, il s’agit surtout d’un caillou dans la chaussure fiscale des États. En effet, le travail n’étant pas immoral en soi (à la différence des activités criminelles qui, elles aussi, peuvent enrichir leurs auteurs en dehors du cadre « légal ») un individu qui exerce une activité volontaire non déclarée, c’est à dire dont les revenus ne donneront lieu à aucun prélèvement social ou fiscal, va malgré tout contribuer à l’économie par le biais de sa consommation ainsi que du règlement de ses obligations fiscales et sociales dont il est parfois redevable par ailleurs.
Travailler plus pour gagner plus
En France, sans doute lassée de la relative inefficacité des mesures coercitives, les autorités ont récemment changé leur fusil d’épaule : puisqu’on ne peut empêcher les économies parallèles de se développer, autant essayer de les encadrer. Et dans une certaine mesure, c’est l’une des idées qui furent à l’origine du statut d’auto-entrepreneur dès 2009. Sauf que ce statut est davantage une simplification de l’entrepreneuriat plutôt qu’une véritable mesure de reconnaissance d’un droit à « travailler plus pour gagner plus« .
La Belgique, quant à elle, semble aller plus loin puisque la mesure approuvée la semaine dernière autorise les travailleurs salariés, mais aussi les indépendants, les retraités et même les demandeurs d’emploi à gagner jusqu’à 500 euros nets de charges et d’impôts, à partir du moment où il s’agit « d’activités utiles pour la société« . Derrière cette définition un peu floue, on trouve en réalité toutes sortes d’activités de particulier à particulier ou encore au service d’associations à but non lucratif. L’économie collaborative de type AirBnB est également concernée et, finalement, seul le travail dissimulé au service d’une entreprise reste toujours prohibé (heureusement !).
Une mesure qui blanchit l’économie grise
Pour les défenseurs de la liberté économique, il s’agit d’une petite victoire car cette mesure entérine et « décriminalise » les petits boulots destinés à améliorer l’ordinaire qui ont toujours existé et aucune législation n’a jamais réussi à faire reculer. Pour les professionnels, certains commencent d’ores et déjà à crier à la concurrence déloyale, mais, dans les faits, la plupart des activités concernées sont justement celles pour lesquelles les entreprises traditionnelles ne souhaitent plus se déplacer : pas assez rentables. Donc, il y a fort à parier que le pragmatisme l’emportera sur la passion et que le climat s’apaisera de lui-même… pour le meilleur de l’économie belge.
En France aussi, on pourrait imaginer une proposition similaire qui viendrait en quelque sorte blanchir l’économie grise, mais le chemin risque de se révéler plus compliqué. Certes, une telle mesure permettrait d’apporter un début de réponse au problème récurrent de pouvoir d’achat qui empoisonne nos gouvernements successifs depuis 45 ans. Or, il faudrait d’abord dé-diaboliser ces activités professionnelles « secondaires » en distinguant par exemple celles qui concernent les « services » entre particuliers de celles qui permettent à des entreprises d’employer du personnel sans aucune protection sociale, dans un climat d’insécurité et de concurrence déloyale (cette fois parfaitement avérée).
L’autre piste pour éradiquer le travail au noir : le no-cash ?
À l’autre bout de la tendance, il y a aussi ceux qui refusent catégoriquement la seule idée de légitimer les économies parallèles. Ainsi, depuis quelques années, de plus en plus de pays tendent à promouvoir une société « sans cash » à plus ou moins brève échéance. L’un des arguments consiste à dire qu’en privant les individus de moyens de paiement non contrôlables (en clair, les billets de banque) on bloque du même coup les activités pour lesquelles un règlement discret est de mise.
Outre le fait que les tenants de cette idée mettent au même niveau travail non déclaré et activité criminelle (ce qui est particulièrement contestable), ils montrent également leur profonde méconnaissance de la nature humaine qui saura parfaitement s’affranchir de cette contrainte pour basculer vers une autre monnaie d’échange tout aussi liquide. Les plus anciens le savent, à une certaine époque, timbres et cigarettes constituaient ainsi des monnaies secondaires dans certains milieux (à l’armée par exemple). Mais plus important encore, l’or et l’argent ont de tout temps constitué des unités de valeur universellement reconnues. Et au prix auquel se négocie actuellement l’once d’argent par exemple, il n’est pas bien difficile d’imaginer que de jolies pièces bien brillantes recommenceraient rapidement à circuler massivement (et discrètement) au sein de la population en cas de suppression de la monnaie fiduciaire.