Les chiffres de l’Insee sont formels : le pouvoir d’achat des Français n’a cessé de progresser année après année. Pourtant, la plupart des ménages continuent d’affirmer qu’ils s’en sortent moins bien qu’avant, en particulier depuis l’introduction de l’euro au début des années 2000. D’où leur vient ce sentiment de ne plus maîtriser leur budget ?
L’euro a bouleversé les repères
Outre l’exercice de conversion plus ou moins durable auquel les Français se sont livrés au moment du passage à l’euro, la difficulté a surtout été de s’adapter aux nouveaux repères de valeurs. Seuil acceptable, prix psychologique, valeur perçue, toutes ces notions ont été complètement remises à plat et certains ont eu du mal à s’y retrouver dans cette valse de nouveaux prix qui ne signifiaient plus rien pour personne. Et le fait que quelques uns de ces repères aient justement été revus à la hausse a fortement contribué à donner l’impression que l’euro avait fait perdre du pouvoir d’achat aux Français. Ainsi, on donne parfois l’exemple de chaussures ou de vêtements vendus dans la grande distribution à certains moments-clés de l’année (rentrée des classes, fêtes, soldes…) qui étaient jusque là proposés à 49 francs pour attirer les acheteurs, et qui se retrouvaient tout-à-coup à 9,90.
D’un autre côté, indépendamment du calcul qu’il était capable de faire pour les prix à la consommation, un salarié avait en revanche beaucoup de mal à se dire qu’il ne s’était pas appauvri en voyant la valeur absolue de son salaire passer de 6500 (francs) à moins de 1000 (euros).
La progression du pouvoir d’achat doit être relativisée
Pourtant, d’un point de vue strictement statistique, on sait que le pouvoir d’achat des Français à progressé depuis 15 ans, même si aujourd’hui cette progression a ralenti (on est globalement passés de +2,5% par an à environ +1,7%). Mais ce pouvoir d’achat est calculé d’une manière globale qui ne tient pas vraiment compte de certaines réalités qui forment le quotidien des ménages. Tout d’abord, le pouvoir d’achat « statistique » est basé sur le revenu disponible brut (RDB), lequel comprend le salaire mais pas seulement. Or, c’est justement le salaire qui est le plus directement visible pour les gens, et même si l’Insee confirme qu’il a augmenté plus vite que l’indice des prix (signant là un gain net de pouvoir d’achat), il a en revanche progressé moins vite que certaines dépenses, à commencer par celles que l’on appelle les dépenses contraintes, c’est à dire celles pour lesquelles on s’engage à plus ou moins long terme, généralement par contrat, mais aussi par obligation sociale.
L’importance croissante des dépenses contraintes
Loyer, énergie, eau, charges, assurances mais aussi crédits (les Français s’endettent davantage qu’il y a 20 ans, notamment pour assurer de plus en plus d’achats de consommation courante), sont autant de dépenses contraintes qui ont eu tendance à fortement augmenter ces dernières années. Les déplacements également coûtent plus cher, notamment en raison du prix des carburants qui n’ont cessé de progresser en dépit des fluctuations des cours du pétrole. Mais ce sont les communications (téléphonie mobile, internet, etc.) qui ont littéralement explosé tout en devenant incontournables (même l’État rend désormais le numérique obligatoires pour certaines démarches). Sans oublier enfin les frais financiers qui se sont multipliés avec la mise en place de tarifications bancaires pour le moins contestables…
Au total, ces dépenses contraintes représentent aujourd’hui plus de 40% des dépenses des Français, amputant lourdement leur budget dès les cinq premiers jours du mois, les privant du même coup de toute possibilité d’arbitrage. Cette contrainte contribue elle aussi à donner aux ménages l’impression qu’ils ne maîtrisent plus leur budget et donc qu’ils ont perdu une certaine liberté à gérer leur pouvoir d’achat.
Un indice des prix assez éloigné des critères d’évaluation des ménages
Autre source de préoccupation pour les ménages : les dépenses de consommation courante. Certes, l’indice des prix tel qu’il est calculé officiellement montre une progression plus faible que celle du revenu disponible brut moyen. Ce qui signifie en clair que les prix augmentent moins vite que les revenus. Mais cette vision statistique semble de plus en plus déconnecté du niveau de dépenses courantes des Français. Car, lorsqu’ils veulent se faire une idée de l’amélioration ou de la détérioration de leur pouvoir d’achat, les ménages se focalisent principalement sur l’évolution des prix de quelques produits spécifiques : alimentation de base (pain, lait, viande…), tabac, essence, etc. Or, les prix de ces produits ont justement connu de très fortes augmentations depuis l’arrivée de l’euro. Et peu importe que d’autres produits aient vu leurs prix baisser très nettement (électroménager, vidéo, technologie…), ils ne font pas partie des préoccupations quotidiennes des ménages.